Lettre n•5

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M. Charles Duval
à la 10ème compagnie du 90 ème territorial
à Magnac laval
Haute Vienne

Le 1er décembre 1914

Mme Marie Dubois
7 rue des Lilas
Reims

Ma douce Marie,

Vos tendres paroles me permettent de sortir ma tête de sous l'eau. En lisant vos mots, j'ai comme l'impression d'enfin pouvoir respirer pour la première fois depuis longtemps. Je peux à nouveau entendre mes pensées sans cette petite voix sinistre au creux de mon oreille qui me répète les horreurs que j'ai commises; sans me remémorer les atrocités que je vois tous les jours ou les choses terribles que je suis forcé de faire. Vous avez raison, je ne peux pas vivre éternellement dans le passé sinon je gâcherais ma vie. Il faut que j'avance et que je sois digne de cette vie qui m'a été offerte. Cependant, je n'oublierai jamais les choses que j'ai faites. Je ne sais pas comment vous remercier ma chère, vous êtes le remède à mes maux. Vous avez toujours eu le don de savoir quoi me dire pour me remonter le moral. Je suis comme un instrument dont vous connaissez chaque note par cœur ou encore une toile vierge où vous savez déjà quel fresque magnifique vous allez peindre. Je n'ai aucun secret pour vous, je suis un livre ouvert à vos yeux.
L'inspiration vous manque mais dans mon cas ce n'est pas le cas. Je tiens à vous aider. Je pense que pour votre prochain projet artistique, vous devriez peindre un paysage paisible et infini. Des couleurs claires et automnales devraient dominer votre tableau. On devrait y retrouver un champ magnifique champ de blé étendu dans lequel on aurait envie de s'y allonger. Cependant, autour de cet endroit se trouve de nombreuses maisons complètement détruites. Seulement, tellement le cadre est sublime et calme nous voudrions rester dans ce lieu paisible sans jamais se soucier de ces habitats en ruine. Cette idée ne m'est venue de nulle part. Je vais vous raconter une histoire ma chère Marie, une histoire que personne ne pourra retirer de cette lettre. Il était une fois, une famille habitant dans une petite ferme au milieu d'un champ. Ils étaient entouré de la nature et de magnifique champs de blé jaune. La vie y était paisible et douce, ils se levaient tôt le matin pour aller traire les vaches et amasser le blé. Puis, plus tard dans la matinée, ils partaient en direction du village pour aller vendre leurs récoltes. Cette famille était bienveillante avec le cœur sur la main, il y avait une petite fille qui aimait jouer avec ses poupées et un garçon qui passait son temps à aider ses parents. Ce soir-là, après le repas, ils sont allés se coucher. Seulement la petite fille avait très soif, la vieille maison faisant du bruit, elle eut peur de descendre dans la cuisine seule et dut aller chercher son frère pour l'accompagner. La cadette s'est glissée dans la chambre de son aîné et l'a doucement secoué pour le réveiller. Le grand frère fut énervé de se faire réveiller si tard dans la soirée mais en voyant le regard de sa sœur si attristé, il ne put résister. Il se leva de son lit et prit sa petite sœur par la main avant de descendre les escaliers. Arrivé dans la cuisine, le garçon servit un verre de lait à sa sœur. Depuis ce jour-ci, l'eau ne fonctionnait plus, leur père leur avait donné pour réponse « C'est à cause d'eux ». Les enfants n'avaient pas compris de qu'ils s'agissaient. Ils ne connaissent pas les conflits dans lesquels se trouvaient leur famille, leur village, leur pays. Ce ne sont que des enfants. Assise sur le rebord de la cuisine, le regard de la petite fut attiré par des lumières à l'extérieur. De magnifiques étoiles scintillent dans le ciel. Elles étaient magnifiques, leur couleur ne pouvait que les éblouir. Mais ce que les enfants ne savaient pas, c'est que ce n'était pas des étoiles et que ces choses destructrices se dirigeaient vers eux. Ils n'ont pas eu le temps de partir, le lendemain matin, la ferme à été retrouvée en ruine. Les fenêtres étaient complètement brisées, le toit avait disparu et l'intérieur était parti en fumée. Le champ de blé était toujours resplendissant, il brillait à la lumière du soleil. Cette histoire est vrai, mon amour. Ces enfants n'ont rien demandé, cette famille n'a rien demandé pourtant ils ont subi les conséquences du conflit entre nos pays. C'est une parmi tant d'autres. Je souhaite que rien ne vous arrive, si vous voyer un jour dans le ciel la même chose, promettez moi de partir. Promettez moi que vous vous enfuirez.
Vous me manquez tellement que j'ai l'impression que mon cœur est prêt à quitter ma poitrine pour vous retrouver. Je me rappelle de ces moments passés à vos côtés, je m'en souviens comme s'ils dataient d' hier. Je vous voulais, je vous désirais. Mais je ne pouvais pas, je n'avais pas le droit de vous toucher. Je ne pouvais pas vous ôter votre pureté, pas ainsi, pas sans avoir pu vous inviter à dîner. Je me rappelle, je me suis approché de votre porte. Mes mains étaient toutes tremblantes, j'avais peur de rencontrer vos parents. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai toqué chez vous. Je fus surpris de ne pas les rencontrer, à cette époque je ne savais pas qu'ils étaient décédés. C'est alors que je vous aie proposé de venir dîner avec moi, le vendredi de la même semaine. Les plus paroles ont alors quitté vos lèvres. Vous avez accepté. Je connais cette histoire par cœur mais j'aimerais tant l'entendre de vos propres mots.
Pour ce qui est de l'invitation de mes parents, je vous pris de l'accepter. Je sais que mon absence les attriste énormément alors avoir une partie de moi à leur côté ne pourra que les apaiser. Je sais qu'une part de vous souhaite refuser car cette période vous rappelle le décès de vos parents à cause de la variole. Mais je suis certain qu'ils voudraient que vous profiter de vos moments de festivités entouré.
Pourriez-vous envoyer mes amitiés à Marguerite et à son époux ? Lui dire à quel point, cette une femme courageuse et une future mère exceptionnelle car je ne crains fort ne pouvoir être présent pour son accouchement.

Je vous envoie mille sincères baisers, faites-en bon usage.
Prenez soin de vous et de ma famille, j'espère que vous trouverez de l'inspiration avec le tableau que je vous ai peint.

Votre amant qui meurt d'impatience de vous retrouver,
Charles.

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