PARTIE 1 - AU COMMENCEMENT /Chapitre 1: Star

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Je fonce à toute allure entre les ruelles étroites de la ville, serrant contre moi la miche depain que je viens juste de dérober. Je fonce à droite puis à gauche, puis encore à droite, prenant lesvirages aussi serrés que je le peux et accélérant le plus possible -il en va de ma vie après tout. Jemanque de trébucher sur un pavé mal placé au milieu d'une ruelle plus étroite que les autres etrétablis mon équilibre de justesse. Un peu plus et j'aurai manqué de me faire prendre ! Il faut croireque ce n'est pas une bonne journée. Les hommes derrière moi semblent se rapprocher, j'entendsleurs pas précipités non loin de moi.

- Il est parti par là ! Par là !

Je continue de courir, accélérant de toutes mes forces. J'aperçois déjà l'entrée de mon entréesecrète et je souris. Parfait, ce n'est pas encore aujourd'hui qu'ils me feront la peau ! J'entre à touteallure dans la ruelle, me jette par terre dans le coin le plus sombre au fond de celle-ci et me faufile àplat ventre dans un trou situé dans le mur au ras du sol, juste assez grand pour me contenir-heureusement que je suis de taille modeste. J'attends quelques secondes en retenant mon souffle,mais mes poursuivants pénètrent dans la ruelle uniquement pour constater que celle-ci n'a pasd'issue. Sortant de ce cul-de-sac, ils repartent en sens inverse et j'attends que leurs pas se soientcomplètement éloignés de moi pour respirer à nouveau. Je souris. Ça, c'est une bonne chose defaite. Maintenant, direction la maison !

Je me retourne tant bien que mal à l'intérieur du trou. Celui-ci est plus qu'un simple trou :devant moi s'ouvre en fait une galerie souterraine. Je m'avance à quatre pattes. C'est un peu juste etje suis obligé de pencher la tête sur le côté pour pouvoir avancer. Au bout de quelques mètres, lagalerie s'agrandit quelque peu et je peux enfin lever la tête. Ma nuque est endolorie, mais ça va, jesais que le chemin que je veux emprunter sera court.

Je m'appelle Star et je vis au royaume de Sky - à l'étage supérieur pour être exact. Notremonde se compose de deux étages maintenus dans les airs, mais celui d'en dessous n'est pas habité.Qu'on ne me demande pas comment cela fonctionne, mon monde est ainsi et je n'ai jamais vraimenteu le temps d'en percer tous les mystères. La survie d'abord !

Je crois qu'auparavant -genre il y a des centaines d'années ou quelque chose comme çal'étage du dessous devait aussi être habitable normalement, mais il s'est beaucoup plus dégradé quele notre et plus rapidement et il y a plusieurs dizaines d'années de cela, il a été rendu inhabitable àcause de la fuite d'un gaz qui a forcé l'évacuation de toute la population. Du coup, nos parents etleurs parents se sont retrouvés avec le double de la populace répartie sur un seul étage au lieu dedeux -bonjour les complications. Notre monde n'est donc pas très confortable et nos ressources separtagent entre trop de personnes, ce qui ne nous rend pas la vie facile -et qui me fait voler du painpour substanter ma famille, c'est à dire ma mère et ma sœur. Je soupire. Ces derniers mois ontdéfinitivement fait partie des plus difficiles que nous avons connus.

Je continue d'avancer dans la galerie, tant bien que mal. Ma vie ne ressemble pas du tout àce à quoi je m'attendais. Dormir, fonctionner, courir, survivre. Chaque jour s'éteint et se rallumedans la même monotonie grise, chaque nouvelle journée ressemblant à la précédente. Mais lesderniers mois, nos ressources se sont encore amoindries et notre société a bien du mal à survivre.Sans parler de ma famille... Alors forcément, le vol est strictement puni ici -c'est un véritable crimeque de vouloir privilégier sa vie sur celle des autres et nous partageons tout le plus équitablementpossible. Enfin... ça c'est ce qui se dit. Mais lorsque ma mère a voulu obtenir sa ration de pain cettesemaine, un imbécile a pris sa place et l'a poussé brutalement. Étant chétive et malade, ma mère n'apas réussi à se relever à temps pour obtenir sa ration : tout était parti. Ce qui signifie non seulementqu'il existe toujours autant d'abrutis, mais aussi que quelqu'un a récupéré une deuxième fois uneration qui n'était pas la sienne. Il faut dire que les Contrôleurs ne sont pas vraiment de joyeuses etpatientes personnes, eux, ils s'en fichent royalement de savoir si les règles sont bien respectées. Ilsn'interviennent qu'en cas de « réels » problèmes, c'est à dire si quelqu'un tente ouvertement de volerquelque chose -oups, comme moi- mais l'injustice semble leur passer au dessus de la tête.

Je n'ai jamais été trop téméraire -de nous deux, c'est plutôt ma fausse jumelle Katya qui leserait- mais aujourd'hui, c'était la goutte de trop. Notre vie devient tous les jours de plus en plus dur,alors, même si je n'ai rien d'un idéaliste se battant pour des idéaux fumants, j'ai pris un risque -pourma famille. Pas pour l'honneur, ni même pour la réparation d'une injustice. Juste pour moi, ma mèreet ma sœur. Et parce que je ne supporte plus ce monde.

Alors, moi, je répare. Ma mère est malade et a besoin de manger un minimum pour survivre.Et puisqu'en volant ce pain, je ne fais que rétablir l'équilibre de la société que d'autres avant moi ontégoïstement brisé., je ne me sens pas le moins du monde coupable -et ne me laisserai pas prendrepour un crime qui n'en est finalement pas un... Heureusement tout de même que je connais lequartier comme ma poche et le secret des galeries souterraines qui semblent s'étendre sous toute laville. Le Royaume de Sky, c'est chez moi, mais on pourrait tout autant l'appeler le Royaume desmiséreux tant la vie ici est dure. Chacun a sa part de travail à accomplir tous les jours pour quenotre société fonctionne. Même les plus jeunes accomplissent des tâches qui sont plus ou moinsadaptées à leur âge et compétences. Il n'y a que comme cela que nous pouvons tous espérer peutêtre survivre...

Je continue à avancer dans la galerie qui s'offre à moi -je connais la carte souterraine de Skycomme ma poche. Ça m'évite de courir partout dans la ville, puisqu'avec mes quinze ans, on m'aconfié la tache de répartir des messages d'un bout de la ville à l'autre, ce qui permet de parer au bonfonctionnement de notre société. Il me faut majoritairement dire à l'un et à l'autre combien de lait,d'œufs, de farine etc. nous avons, pour que tout soit réparti équitablement dans la ville. Une tacheun peu ingrate, mais au moins, je serais le premier au courant lorsque nous manqueronsvéritablement tous de nourriture. Pour l'instant, c'est juste, mais si tout le monde se tient aux règlesde distributions -ce qui apparemment n'est pas le cas- nous allons avoir assez pour tous. Pas enabondance, mais assez.

J'aperçois enfin la lueur de la surface et me baisse et rampe, avançant grâce à mes coudespour atteindre la sortie de la galerie que j'emprunte depuis tout à l'heure. Ouf, enfin arrivé. Jeregarde à droite puis à gauche discrètement, sans sortir la tête de mon trou. Personne. Je m'extirpeavec difficulté, puis tente de rendre à mes vêtements une allure présentable, avant de hausser lesépaules. Ma mère connaît déjà de toute façon. Des vêtements sales contre la rapidité dans ma tacheet pour aujourd'hui, une miche de pain qui nous était dû. C'est la couleur qu'a ma vie après tout.

Le Royaume de SkyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant