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L'aurore pointait doucement son nez au-dessus de la petite clairière qu'avaient choisi Tress et le reste de la bande pour passer la nuit, ou du moins ce qu'il en restait.
Bien que les arbres qui encerclaient le campement cachaient quasiment le mont Tropi à quelques dizaines de kilomètres seulement, la petite étendue d'herbe parsemée de boue, trahissait la région marécageuse typique des environs de la chaîne montagneuse. Ils n'étaient plus bien loin de leur but.
Tress sentait dans l'air l'odeur nauséabonde de l'eau stagnante, et les moustiques s'amassaient par dizaines autours de ses vêtements collés à sa peau. La végétation était bien plus éparse, et plongeait ci et là dans des mares minuscules mais pas moins dangereuses. Ils ne seraient pas les premiers voyageurs à tomber par accident dans une de ces flaques traîtresses qui, de prime abord semblaient sûres, mais cachaient en réalité plusieurs mètres d'eau de profondeur, entourés d'un sol instable et boueux, empêchant quiconque d'en sortir seul. Les malheureux qui y mettaient les pieds se fatiguaient lentement et mourraient noyés ou grignotés par des Fauchevases.
Les villages du coin racontaient d'ailleurs que ces atrocités de la nature étaient en fait les victimes elles-mêmes qui, une fois noyées, étaient alors possédées par un mauvais esprit et cherchaient à infliger le même sort à d'autres innocents. Des années de putréfaction leur donnaient cette apparence humaine squelettique, recouvert de vase et de chair blanche et fripée. Il était toutefois assez simple de les sentir approcher. Au sens littéral du terme. Ils n'étaient donc pas des prédateurs bien dangereux, mais plutôt des charognards opportunistes.
Bien évidemment, Tress et Gravier s'étaient assurées qu'aucun Fauchevase ne se soit établi au même endroit.
Tout le monde se réveillait à peine, après quelques heures bien méritées de sommeil. Rohm préparait un feu, Sakomo venait de revenir au camp après avoir chassé quelques Moite-Serpes pour se nourrir, et débattait avec le reste du groupe, malgré la stupeur matinale.
Surélevée sur quelques branches de bois afin de ne pas s'embourber, Martha dormait toujours, allongée auprès de Baltane et Bleu qui veillaient. Quelques Lucerondes avaient été posées autour, afin de créer une chaleur douce et réconfortante, sans pour autant réveiller la douleur lancinante de sa brulure.
— Orange? s'interrogea Bleu qui était minutieusement en train de coudre une écharpe en lin.
— C'est très joli, oui, répondit calmement Baltane. Je suis sûr que ça lui plaira.
Bleu esquissa un petit son de satisfaction et continua son travail. Baltane regardait Martha sans bouger d'un cil, et l'on pouvait voir dans son regard un mélange de tristesse et de culpabilité.
— Tu sais, rien de tout ça ne serait arrivé si je n'avais pas pris cette décision stupide d'explorer aussi loin... s'adressa-t-il à Martha inconsciente. Tout ça est ma faute...
Baltane trembla, un frisson parcourra son échine lorsqu'il repensa à cette nuit, aux orbites vides de l'Ecorceur le fixant froidement, aspirant son âme et ses rêves...
Plus loin, les cris de Gravier et Sakomo qui se querellaient résonnaient jusqu'aux oreilles de Baltane qui préparait un onguent pour la brûlure. Tress tentait tant bien que mal de les raisonner, tandis que les doigts du reste du groupe se pointaient régulièrement vers Martha dans le débat enflammé.
— Tu m'avais demandé pourquoi j'avais quitté mon île, tu te souviens? reprit Baltane. Eh bien, personne ne le sait alors je vais te le dire, peut-être que tu m'entendras dans tes rêves.
Il hésita un peu en se tournant vers Bleu, mais il se convaincu rapidement que même s'il entendait son histoire, il y aurait peu de chances, si ce n'est aucune, qu'il puisse la raconter à d'autres. Il souffla un bon coup avant de reprendre ses aveux.
— Je suis parti car mon île souffre d'une sorte de malédiction... Il y a quelques mois, un des hommes de mon village a trouvé dans ses plantations de frunaises un fruit différent des autres. Normalement, les frunaises sont rondes, fermes et ont une teinte rosée, mais celle-ci tirait vers le rouge carmin. Même une frunaise moisie ne termine pas comme ça. Lorsqu'on l'a ouverte, elle était remplie d'un liquide sombre et émanait une odeur de décomposition insupportable. Bien évidemment, on ne l'a pas mangé, mais quelques jours après seulement, une autre frunaise avait poussé de la sorte, et à la fin de la semaine, un champ entier était contaminé. Certaines familles à Halmo se sont retrouvées sans nourriture.
Il soupira en tapant ses doigts frénétiquement sur ses sabots.
— Ils ont tenté de manger un des fruits puis sont tombées malades. En quelques jours ils sont morts de la peste. Toutes nos frunaises sont condamnées à pousser remplies de sang pestiféré. Et comme je te l'ai dit, Halmo est complètement isolé, personne ne viendra à notre secours...
Ses traits se durcirent en repensant aux personne qu'ils avaient laissé sur cette île. Elles représentaient toute sa vie.
— Cet évènement est survenu quasiment en même temps que la traversée de l'Or Céleste au-dessus de notre île, reprit-il. J'ai pensé à un bon présage, et j'ai décidé de le suivre... Enfin bon... Avec tout ce temps passé, je me demande si mes parents sont encore en vie là-bas...
Baltane regardait le ciel et Bleu semblait avoir compris la gravité de la situation, car il s'était arrêté de coudre et avait posé sa tête contre son épaule. Bien qu'il soit plus âgé que Baltane d'au moins six ans, il ne paraissait pas si grand que ça à côté de lui.
Baltane termina l'onguent en recouvrant le pot d'une serviette sèche qu'il venait de laver.
— En tout cas, j'ai passé un bon moment avec toi. Tu es la première personne avec qui je n'ai pas honte de mes sabots, et puis je te trouve assez drôle. Quand tu te réveilleras, j'aimerais encore passer du temps avec toi.
Martha qui semblait encore inconsciente afficha un petit sourire, puis ouvrit à moitié un œil, dévoilant un regard coquin.
— Eh! Tu m'écoutais depuis tout à l'heure? râla le jeune garçon.
— C'est que, je ne voulais pas t'interrompre! lui répondit Martha faussement innocente, visiblement ravie d'avoir entendu toute cette histoire, et particulièrement la fin. Je suis désolé d'apprendre ce qui est arrivé sur ton île... reprit-elle plus sérieusement.
Baltane resta vexé pendant quelques secondes en la fixant, puis éclata de rire subitement.
— Je ferais bien de jeter cet onguent dans la vase tiens! gloussa-t-il en essuyant les débuts de larmes de ses yeux. Je suis tout de même content que tu sois de retour parmi nous.
Il se tourna vers Bleu qui tendait sa toute nouvelle création.
— Regarde, Bleu t'a fait une écharpe!
Il serra délicatement Martha dans ses bras, puis essuya avec un chiffon le reste de suie qui s'était déposé sur son visage lors de leur fuite nocturne parmi les flammes.
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L'Etoile Mirage
FantasyTreize jours loin de sa famille, à marcher seule dans le froid, à naviguer entre les vagues, et sillonner les forêts denses des Terres de Mytir. Treize jours, guidée par cette étrange lueur dorée qui brille dans le ciel. Ce deuxième soleil. Martha n...