Celle que je ne suis pas

Chapitre 4

Le vent souffle vigoureusement, faisant danser les vagues et apportant avec lui une brise fraîche et salée. Claire et moi marchons main dans la main sur le sable épais peuplé de galets de la plage de First Beach.

Je sens les embruns sur mon visage alors que nous avançons, Claire sautillant d'excitation à chaque pas.

— Rega'de maman, rega'de ! s'écrit-elle en pointant du doigt un coquillage coloré niché parmi les galets. Elle se penche pour ramasser le coquillage, qu'elle me tend. C'est pour toi.

— C'est gentil ma chérie ! Il est magnifique.

Je lui offre un sourire tendre et ses yeux brillent de fierté. Nous passons un bon moment à choisir des galets et coquillages pour décorer la maison d'Emily. Puis, nous prenons le chemin du retour.

Alors que nous entrons chez Emily, je constate que le séjour est déjà bien rempli. Il y a un petit groupe de garçons et Leah assis dans le salon qui discutent, un garçon installé à table en train de manger des céréales et lisant les inscriptions au dos de la boîte, tandis que Sam et Emily se tiennent debout près de la cuisine. Inutile de préciser que je ne sais plus qui est qui.

Emily s'approche de moi, tandis que je m'efforce de retirer le manteau de ma fille, silencieuse. Em' réclame de l'attention en tapant des mains joyeusement.

— Vous tous, vous vous rappelez de Skyler, ma sœur ?, dit-elle avec entrain. Je compte sur vous pour être sympa.

Des têtes se tournent vers moi et je souris en les saluant gentiment.

— Et moi je vous présente Claire, ma fille, dis-je en désignant Claire, occupée à retirer ses chaussures.

A ma gauche, le garçon qui mange des céréales et qui n'a pas levé la tête de sa lecture, s'écrit qu'il a encore perdu au jeu du labyrinthe. Je ris doucement, puis il lève la tête vers moi et Claire, comme s'il venait de réaliser notre présence dans la pièce.

Soudain, il lâche sa cuillère dans son bol et reste hébété. Qu'est-ce qu'il se passe ? Il cligne des yeux, le regard rivé sur ma fille quelques – trop longues – secondes. D'un geste lent, presque robotique, il se tourne vers Sam.

— Saaam..., articule-t-il.

Sam semble comprendre quelque chose et se tend. D'un même mouvement l'ensemble des personnes présente dévisage Sam. L'atmosphère devient lourde et oppressante, j'ai l'impression d'étouffer. Je ne comprends pas les échanges silencieux qui s'instaurent entre tous les garçons, Leah et Sam et cela me rend de plus en plus nerveuse.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?, demandé-je, submergée par un vent de panique quand je constate que Sam fixe Claire avec un air ahuri.

Que quelqu'un m'explique ce qu'il se passe !

La situation me semble irréelle. L'adolescent aux céréales fixe Claire, de son air toujours aussi hébété. Mon cœur s'emballe et je saisis instinctivement Claire par le bras pour la ramener vers moi.

Claire se met à pleurer et le garçon semble pris de panique. Prise de panique à mon tour, je la prends dans mes bras pour la calmer. L'ambiance est pesante, terriblement pesante. Claire hurle contre moi, inconsolable. Je la berce comme je peux, l'entourant de mes bras, comme pour la protéger.

— Pitié, faite la taire !, s'écrit un garçon, qui ne semble pas très avenant, en parlant de Claire.

— Paul !, grondent Sam et le garçon aux céréales d'une même voix puissante.

— C'est pas vrai Quil ! T'as pas fait ça !, peste Leah au loin.

— Tu sais bien que ça ne se contrôle pas !, se défend Quil, le garçon aux céréales.

Alors que les pleurs de Claire redoublent, je remarque que Quil se lève précipitamment et s'approche de nous. Je serre Claire un peu plus fort dans mes bras et recule d'un pas, pour lui faire comprendre de ne pas avancer plus.

Quil s'arrête alors à quelques mètres de nous. Je lui tourne légèrement le dos pour soustraire Claire à ses regards insistants.

— Emily, intervient Sam d'une voix grave et solennelle.

Soudain, Emily s'approche de nous et pose délicatement sa main sur mon bras. Elle me sourit timidement et dit doucement :

— Laisse-le s'occuper d'elle, s'il te plaît. Nous allons devoir discuter toutes les deux.

Elle m'encourage du regard et je me détends. Quil approche encore un peu, tendant les bras devant lui pour accueillir ma fille.

Claire a déjà les bras tendus devant elle pour s'accrocher à lui. Mon cœur se brise. Confier ma fille à ce garçon me fait l'effet d'un véritable déchirement. Comme si la vie me l'arrachait et qu'elle ne pourrait plus jamais être à moi. Les larmes roulent sur mes joues, mon cœur est meurtri.

Et pour mon plus grand désarroi, Claire cesse immédiatement de pleurer dès qu'elle se blottit confortablement dans les bras de Quil. C'est le cœur déjà en miette que ce constat finit par m'achever. Je m'effondre en suffoquant, rattrapée de justesse par Leah.