Chapitre 14

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Cela fait quelques jours que je n'ai pas revu Quil. En vérité, c'est un soulagement, même si j'ose à peine l'admettre. Mine de rien, j'avais besoin de ce temps pour essayer de remettre un peu d'ordre dans mes pensées. Après les derniers événements, je me sens complètement déstabilisé. Comment aurais-je pu faire face à lui avec tous ses doutes qui m'envahissent ? Je ne sais même pas par où commencer pour gérer tout ça...

Malheureusement pour moi, c'est un répit de courte durée car ce soir en rentrant à la maison après le travail et ma session d'entraînement de chant avec le groupe, je sais que je retrouverai Quil à la maison. Il s'occupe de Claire en mon absence, après avoir été la cherché à la garderie.

C'est donc dans ce contexte que je rentre chez moi, un peu plus tard que d'habitude. J'ouvre la porte avec une certaine appréhension, mon cœur battant légèrement plus fort à l'idée de le retrouver. A l'intérieur, l'odeur qui émane de la cuisine me met l'eau à la bouche.

En moins d'une seconde, mon regard se pose sur lui, installé devant la chaise haute occupé à donner à manger à Claire. Mon cœur rate un battement en voyant la tendresse avec laquelle Quil s'occupe d'elle. Son sourire est doux et il semble si naturel dans ce rôle de père.

De frère !, me rabroué-je mentalement.

— Maman !, s'écrit ma fille en me voyant arriver.

Je fonce droit sur elle et l'embrasse sur la joue.

— Salut Sky, ça a été le chant ?, m'interroge Quil, sincèrement intéressé par la réponse.

— Salut, réponds-je. Oui, on a surtout fait un petit débrief de la fête.

Sur la table, deux assiettes sont déjà dressées pour nous. Pour lui et pour moi.

— J'ai fait à manger, pour ce soir c'est poulet au piment et riz, ça te va ?

C'est tellement attentionné, tellement... lui. Est-ce que les foutus papillons qui gigotent sans cesse dans mon estomac peuvent se calmer un peu ?

Pourquoi est-ce que le fait qu'il ai préparé le repas me rend comme ça ? Il l'a déjà fait des dizaines de fois ! Quil a toujours été comme ça ! Mais c'était sans compter toutes les émotions qui me traversent aujourd'hui... Je ne veux pas qu'il remarque ce qui se passe en moi alors je prends une inspiration discrète, faisant de mon mieux pour ne rien laisser paraître et je lui adresse un sourire chaleureux. Le même sourire que je lui offre à chaque fois, un sourire qui, je l'espère, cache mes véritables émotions.

— C'est parfait, merci Quil !, dis-je en m'efforçant de garder ma voix légère, comme si de rien n'était.

Il me sourit en retour, ce sourire qui commence à faire battre mon cœur un peu trop vite. Alors, doucement, je m'assieds à table, essayant de me concentrer sur Claire, mais en réalité, toute mon attention est sur lui.

Après avoir mangé et avoir couché Claire dans sa chambre, le silence règne dans la maison. Profitant de ce moment de calme, je retrouve Quil encore attablé et m'installe à côté de lui.

La vie continue et je ne déroge pas à mes engagements alors je ramène avec moi une feuille de papier que j'ai préparée plus tôt dans la journée. Je lui tends avec un sourire.

— Tiens, ce soir j'ai pensé que je pourrais t'apprendre à lire le quileute. Ne t'inquiète pas, tu connais déjà la majorité des mots, l'encouragé-je.

En plus, ça me permettra de mettre mes pensées sur pause. Quil prend le papier entre ses mains et je vois ses sourcils se froncer en découvrant les lignes de texte.

— Allez, essaye de lire la première phrase, insisté-je, mais il ne semble vraiment pas convaincu.

Je l'encourage en inclinant légèrement la tête vers lui tandis que je m'assois près de lui. Il inspire profondément et commence à lire. Dès les premiers mots, il bute sur les syllabes, ses yeux cherchant désespérément une logique dans la manière dont les lettres sont arrangées. La phrase, qu'il prononce avec difficulté, semble étrangère même à ses propres oreilles.

Lorsqu'il termine, je reprends doucement le texte et lis la même phrase à voix haute, d'une manière fluide et assurée. Les sons roulent sur ma langue et n'ont rien à voir avec les siens. Quil me dévisage, complètement ahuri.

— Je ne comprends pas comment ces lettres mises ensemble peuvent faire ces sons-là !, s'exclame-t-il, frustré.

Un léger rire m'échappe tandis que je repousse la feuille vers lui.

— Tu réfléchis de façon biaisé, tu cherches une logique avec ton cerveau formaté au dialecte anglais, l'informé-je. En quileute, l'orthographe et la prononciation ne suivent pas toujours les mêmes règles. C'est une langue très différente, qui demande une autre manière de penser, expliqué-je.

Il hoche la tête tandis que continue à lui expliquer quelques particularités de la langue quileute, soulignant les différences avec l'anglais. Petit à petit, je vois qu'il commence à comprendre.

Nous passons la soirée à déchiffrer ensemble quelques phrases simples. À chaque fois que nos regards se croisent, je sens une chaleur envahir mon ventre et des papillons qui s'agitent. Je devais me concentrer sur les leçons, mais je ne peux m'empêcher de remarquer la façon dont il me regarde, attentif, reconnaissant, presque... tendre.

Merde ! On avait pas dit que mon cerveau devait se mettre sur pause ?

Je sens mes pensées dériver dangereusement. Cette proximité autour de la table, ces échanges de regards et de sourires... Mon cœur bat plus vite, et je dois faire un effort pour rester concentrée. Plus le temps passe à ses côtés, plus je me rends compte de quelque chose que je ne voulais pas admettre : mes sentiments pour Quil, qui n'étaient que de l'amitié jusqu'à récemment, prennent une autre tournure...

Plus les jours passent, plus je commence à remarquer des détails chez lui qui m'attirent, des détails qui, jusque-là, m'avaient échappé. La partie de moi, la plus rationnelle, me dit de ne pas m'attacher, de ne pas laisser ces sentiments naître, que c'est dangereux. Parce que je n'ai pas le droit. Je n'ai pas le droit d'éprouver ces sentiments pour lui.

Pas avec Claire dans sa vie.

Et pourtant, je me sens piégée entre ce que je ressens et ce que je devrais ressentir. Et cela m'effraie.

Celle que je ne suis pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant