Christelle

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–Monsieur Simon Firmin, suivez-moi.
Que me veut le prof ?
Il semble remonté comme un coucou suisse !
Demain a lieu la rentrée des plus jeunes, ce sera notre premier mentorat.
Dans le bureau de Madame, une fillette malingre baisse la tête à côté d’un homme aux vêtements simples. Il ne sait pas trop quoi faire de ses grandes paluches tatouées de camboui.
Un joli chapeau rond et une coupe au carré dissimulent son visage.

– Je suis sûr que nous pouvons la confier à Mr Firmin. Je sais reconnaître une future grande artiste.

– Nous sommes d’ accord, mais ce ne sera pas possible avec ce…avec ce…
L’ homme émet un grondement de gorge. La fillette se recroqueville.

Madame se tait, gênée, une grande première !

– Mademoiselle Christelle Martin, voulez-vous nous faire une petite démonstration ? Quatre positions.

Il lui montre le petit coin de plancher .

J’ai un hoquet de surprise .
Un fouillis de cicatrices hideuses sculpte le côté droit du visage. Les brûlures couvrent la pommette, frôlent l’oreille et la bouche, descendent vers le cou, le long du haut du bras, disparaisse sous le justaucorp

Son regard nous défie. La tête se dresse altière, j’oublie le visage labouré , la position est parfaite, élégante.
Je suis subjugué par sa grâce en mouvement.

–Si vous étiez son mentor, que feriez-vous ? Là, tout de suite.

Un truc étrange m’ envahi. L’ envie de la protéger, non, elle est forte, plutôt l'élan irrépressible  de l’ aider, de la soutenir. Une sensation inconnue, puissante.
Un mince plumeau  pelucheux, beigeâtre, sort de son sac à dos. Je découvre un lion aplatis, une patte râpée, un bonnet vert de chirurgien sur la tête. Je le lui tends

– Tiens, viens t’ asseoir.

Madame soupire.

– Monsieur Martin, votre fille a un don  pour la danse ,je ne peux que le reconnaître mais….

Je la laisse parler, sa voix s’efface au loin

– Je peux toucher ton visage ?

Elle sursaute, avant de hocher la tête.
Mes doigts frôlent les entrelacs boursouflés, creusés, tendineux.
Pourquoi je fais ça ? J’ ai une drôle de sensation sous la pulpe de mes phalanges. Quelque chose vit dans cette peau torturée.

–Tu ne trouves pas ça horrible ?

La voix fluette me ramène dans la pièce.

– Horrible ? Non. Ce sont des cicatrices. Comment c’est arrivé ?

Le père répond, laconique.

– Un accident de voiture. Ma femme est décédé. Elle conduisait la petite à son cours. On avait pris une assurance vie, pour plus tard payer ses études. On a de quoi pour l'école. Depuis qu’elle sait marcher, elle danse. C’est son rêve.

–Je comprends bien , vous pourriez la mettre dans une école pour devenir professeur. Elle en a les capacités, elle ne pourra jamais monter sur scène. Nous l'avons déjà refusé sur dossier, Vous avez forcé notre porte, agressé un professeur. Je pourrai appeler la police.

– Je ne porterai pas plainte.

J’ai le fin mot de l’ histoire, le père de Christelle a déboulé dans le studio, menacé Son Excellence, pour qu’il regarde la chorégraphie de sa fille. Il se bat pour son rêve.

Je trifouille mon cerveau.
Pa’ dit : les mots sont parfois pires que le poing d'un boxeur en pleine face.
Ma’ lui répond : les mots peuvent ouvrir les portes du paradis.

PrideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant