Mauvaises nouvelles

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( Pour la fluidité du texte, je ne rappelle pas toujours que Mémé est sourde muette.
Simon et son entourage pratiquent couramment le langage des signes en ayant avec elle des conversations normales )

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Kévin

Je feuillette les croquis  de Simon. J’ arrache la dernière page. Avant de les remettre à leur place. Bien à l’ abri.
Le compartiment du vieux train brinquebalant  sent le moisis. Certains sièges sont déchirés, les vitres sont taguées. De l’ ordinaire pour cette ligne qui dessert de petites villes minées par la pauvreté.

Je tourne encore les pages de celui où j’ aime croquer les visages et les événements de la vie courante.
J’ ai encore une heure avant d’ arriver.
Jenifer… on se connaît depuis notre premier jour de vie. Nos mères ont accouchées côte à côte, cela a créé un lien indestructible.  1h 10 pour moi. 1h 12 pour elle.On a fait toutes nos premières fois ensemble. Unis. Inséparables. Elle m’ a toujours défendu. Je l’ ai toujours protégé. La sécurité. Un sourire naît sur ma bouche, attendrit. Je l’ aime pour la vie.
A l’habitude, mon crayon a suivi ma pensée. Elle apparait souriante, heureuse sur le grain blanc du papier. Je date et je signe.

Simon, Simon, l'inconnu, l’insouciance, le plaisir, la jouissance, l’ aventure, affronter mes peurs, l’ insécurité, la transgression, où ira notre relation à la fin des vacances ?
Je retrouve son visage concentré, impatient, lèvre coincée entre ses dents, yeux brillants, mes doigts déboutonnant le dernier bouton de la chemise de dentelle noire , ouverte sur son torse lisse. Dater. Signer.

Je compare les deux portraits. Vers lequel aller ?
Je conserve cette habitude d’ enfant de chœur, demander à mon âme, demander à la Vierge Marie, ma protectrice. J’ ai failli mourir peu après ma naissance. Ma mère était la nounou d’ Allan, un jour où elle nous promenait, ma poussette a dévalé une petite pente puis un escalier pendant qu’elle papotait avec une voisine. Elle était persuadée d' avoir mis le frein. Mon père jure que c’est Allan, jaloux, qui l’ a enlevé. Ma mère ne pense pas. Croyante, elle a promis de me vouer à Marie si je survivais.
Allan ironise en disant que je suis idiot à cause de cet accident de poussette. Ça me blesse. En même temps, c’est vrai, il me manque des cases depuis.

Je cherche l’ image sainte dans mon portefeuille. Elle a les mains ouvertes, sa ceinture bleu assorti à son grand voile. Soeur Marie-Angèle me l’ a donné pour ma communion en me disant :” Si un jour tu doutes,  demande-lui de te protéger dans sa grande cape. Elle te répondra . “
Je la mets entre les deux dessins.

Une dame trébuche dans le couloir, se rattrape au dossier du siège. Une religieuse.

– Oh! Jeune homme ! Quel magnifique portrait ! Quel amour dans ce regard !

J’ ai ma réponse. Et ma conviction.

Je prends la feuille. Je la remettrai en main propre. Les mots ne pourront pas sortir.

“Nous avons eu des moments extraordinaires. Toutes ces premières fois inimaginables ensemble.
Je te garderai dans mon cœur toute ma vie.
Celle çi m’ appelle ailleurs. Je dois suivre le chemin que le Ciel me propose.
Ne m’ en veut pas. Je te souhaite tout le bonheur du monde.”

Je plie soigneusement la feuille épaisse en trois. Le train freine dans un horrible grincement.
Jenifer, rayonnante, m’ attend sur le quai.

                                        *****
Simon

Le train repart. Je reste seul dans la petite gare.
Pa’ me rassure.
Il doit être arrivé plus tôt.

– Je suis désolée, il est parti cette nuit.

PrideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant