Les Échos de Rinevaila

Chapitre 50 : Les racines du passé

Le crépuscule enveloppait doucement le paysage de Rinevaila, baignant les terres d'une lumière dorée. Astrid se tenait au sommet de la colline où, des années auparavant, elle et Eirik avaient souvent observé le coucher du soleil, rêveurs et insouciants. Les souvenirs de leur enfance lui revinrent en mémoire, une époque où tout était plus simple, où le monde leur appartenait encore.

Dans ces jours lointains, Astrid et Eirik étaient inséparables. Leurs rires résonnaient à travers les forêts environnantes, et leur complicité était palpable. Eirik, de quatre ans son aîné, jouait souvent le rôle du grand frère protecteur, mais aussi celui du complice prêt à suivre Astrid dans ses idées les plus folles. Ensemble, ils formaient une équipe invincible, un duo capable de braver les pires dangers – ou du moins, c'est ce qu'ils croyaient.

Leur père, un homme imposant et respecté, les avait élevés dans la tradition de leur famille : l'honneur, le courage et la loyauté. Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne favorisait pas Eirik aux dépens d'Astrid. Au contraire, il voyait en eux une force complémentaire. Eirik, avec sa détermination et son sens aigu du devoir, était destiné à devenir un grand leader. Astrid, avec son esprit vif et sa curiosité sans limite, avait un potentiel inexploité que leur père admirait secrètement.

Les journées étaient remplies d'aventures : explorations des grottes cachées, chasses au trésor imaginaires, et combats simulés contre des ennemis invisibles. Eirik enseignait à Astrid l'art du maniement de l'épée, même si cette dernière préférait souvent utiliser son intelligence pour résoudre les énigmes qu'ils inventaient ensemble. Ils se complétaient parfaitement, l'un apportant la force brute, l'autre la stratégie.

L'un de leurs souvenirs les plus précieux remontait à l'hiver de leurs onze et quinze ans. La neige avait recouvert Rinevaila d'un épais manteau blanc, transformant le paysage en un monde féerique. Les rivières étaient gelées, les arbres ployant sous le poids des flocons, et tout semblait silencieux, comme si la nature elle-même retenait son souffle.

C'était durant cette période qu'ils avaient découvert l'entrée d'une ancienne mine abandonnée, cachée au cœur de la montagne. Intrigués par les histoires que leur père leur avait racontées – des récits de trésors oubliés et de créatures légendaires –, ils décidèrent d'explorer ce lieu mystérieux. Eirik avait préparé des torches, tandis qu'Astrid avait apporté une carte ancienne qu'elle avait dénichée dans la bibliothèque familiale.

Leur périple dans la mine fut marqué par des moments d'excitation et de peur. Les passages étroits et sombres semblaient infinis, et chaque bruit résonnait comme un écho inquiétant. Mais ensemble, ils surmontaient leurs craintes, avançant toujours plus profondément dans les entrailles de la montagne. À un moment donné, ils se retrouvèrent face à un gouffre infranchissable. Eirik, sans hésiter, avait tendu sa main à Astrid, l'encourageant à faire confiance à sa force. Elle s'élança alors, confiante, et ils franchirent l'obstacle ensemble, prouvant une fois de plus que rien ne pouvait les arrêter lorsqu'ils étaient unis.

Au bout de leur exploration, ils tombèrent sur une ancienne salle souterraine, où reposaient des vestiges d'une époque révolue. Des armes rouillées, des boucliers ébréchés, et au centre de la pièce, une pierre lumineuse, baignant la pièce d'une lueur douce et bleutée. Cette découverte, bien qu'inestimable pour eux à l'époque, n'était en réalité qu'un artefact oublié. Mais pour Astrid et Eirik, c'était une preuve de leur lien indéfectible et de leur capacité à accomplir l'impossible ensemble.

Les jours d'après furent marqués par des discussions animées sur ce qu'ils feraient de cette pierre. Eirik, toujours pragmatique, proposa de la montrer à leur père, tandis qu'Astrid, rêvant déjà de nouvelles aventures, suggéra de garder le secret pour eux seuls. Finalement, ils décidèrent de cacher la pierre dans un coffre en bois qu'ils enterrèrent au pied d'un chêne centenaire près du lac. Ils scellèrent leur pacte par une promesse : quoi qu'il arrive, ce trésor resterait leur secret, symbolisant leur fraternité éternelle.

Cependant, les années passèrent, et avec elles, les responsabilités. Eirik se retrouva de plus en plus accaparé par les devoirs de la famille, tandis qu'Astrid, bien qu'aimant profondément son frère, commençait à ressentir le besoin de tracer sa propre voie. Leur père, bien que juste, devenait de plus en plus exigeant envers Eirik, le préparant pour le jour où il devrait prendre les rênes du domaine familial. Astrid, quant à elle, se plongeait dans l'étude des arts anciens, fascinée par la magie et les secrets du monde.

Le tournant survint lors d'une visite d'une délégation étrangère à Rinevaila. Les ambassadeurs apportaient avec eux des cadeaux exotiques et des récits d'aventures lointaines. Astrid, éblouie par ces histoires, commença à nourrir des rêves de voyage et de découvertes au-delà des frontières de leur terre natale. Eirik, cependant, restait ancré dans ses devoirs, conscient des attentes placées sur ses épaules.

Un soir, alors qu'ils se retrouvaient seuls dans la bibliothèque, Astrid confia à Eirik son désir de partir à l'aventure. Elle rêvait de découvrir des terres inconnues, de maîtriser la magie, et de prouver qu'elle était plus que la simple héritière d'une grande famille. Eirik, bien que compréhensif, la mit en garde contre les dangers du monde extérieur. Il lui rappela que leur place était ici, à protéger leur foyer et leur peuple. Mais malgré ses paroles, il voyait bien la détermination dans les yeux de sa sœur. Elle n'était plus une enfant, mais une jeune femme prête à prendre son destin en main.

Les années suivantes furent marquées par une distance croissante entre eux, non pas par manque d'amour, mais par des chemins de vie différents. Eirik, en tant qu'héritier, s'impliqua de plus en plus dans la gestion des affaires familiales, tandis qu'Astrid, toujours plus attirée par la magie, décida de s'entraîner auprès d'un ancien sage vivant dans les montagnes. Cette décision marqua le début de leur séparation physique, mais le lien qu'ils partageaient restait fort.

C'est durant cette période qu'Astrid découvrit son lien avec la Flamme Éternelle. Lors d'un de ses entraînements, elle ressentit pour la première fois l'appel de cette puissance ancienne. Bien qu'au début, elle ne comprit pas pleinement ce que cela signifiait, elle savait qu'un grand destin l'attendait. Cependant, elle choisit de ne pas en parler à Eirik, craignant qu'il ne la comprenne pas ou qu'il ne tente de la dissuader de poursuivre cette voie.

Puis, le jour fatidique arriva. Une guerre éclata à leurs frontières, obligeant Eirik à prendre les armes pour défendre leur terre. Astrid, bien que désireuse de se battre à ses côtés, fut retenue par leur père, qui lui rappela que son rôle était ailleurs, qu'elle devait rester en sécurité. Cette décision, bien que prise par amour, fut la première véritable fracture entre Astrid et le reste de sa famille. Elle ressentait un mélange de frustration et de culpabilité, incapable de se tenir aux côtés de son frère quand il en avait le plus besoin.

Après la guerre, Eirik revint changé. Il avait vu la mort de près, perdu des camarades, et porté le poids de la survie de leur peuple sur ses épaules. Astrid le retrouvait, mais il n'était plus le même. Il était plus grave, plus distant, et bien qu'il tentât de maintenir leur relation, le fossé entre eux grandissait inexorablement.

Finalement, la quête de la Flamme Éternelle les réunit une dernière fois. Astrid, consciente de son rôle en tant que porteuse, savait qu'elle devait accomplir cette mission, non seulement pour elle-même, mais aussi pour honorer le lien qu'elle partageait avec son frère. Eirik, bien qu'inquiet pour sa sœur, accepta de l'accompagner, reconnaissant que leurs destins étaient liés.

Mais au fond d'eux, ils savaient tous deux que cette quête serait leur ultime épreuve, celle qui déciderait s'ils pouvaient encore être les mêmes enfants inséparables qu'autrefois, ou si les événements les avaient changés à jamais. Astrid, en regardant le coucher de soleil ce soir-là, espérait que la Flamme, qui les avait unis si longtemps, pourrait encore raviver ce lien qui menaçait de s'éteindre.