Chapitre 13 : Ressasser le passé

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La sonnette retentit. Enfin, Imran arrive.

- Va la voir, s'il te plaît, Imran, lui dis-je, la voix tremblante d'inquiétude.

Sans un mot, il entre dans la chambre. Là, Seyana est assise, prostrée, le regard vide.

- Seyana, tu ne vas pas te rendre malade pour lui, allez, lève-toi, dit-il doucement.

Il tente par tous les moyens de la faire rire, mais ses efforts restent vains. Elle ne réagit pas, figée dans son silence.

- Tu sais quoi ? On fait un barbecue avec tous mes amis tout à l'heure. Tu viendras avec Nina, ça te fera du bien, ça te changera les idées. Allez, lève-toi. 

D'un geste doux, mais ferme, il l'aide à se relever, insistant pour la tirer de son apathie. Enfin, un sourire timide se dessine sur les lèvres de Seyana. Un petit éclat, fragile, mais réel. Je le savais, il n'y avait que lui, Imran, pour réussir à la faire sourire dans ces moments-là. Même si elle souffre encore, au moins, on pourra l'aider à oublier un peu.

Je m'approche d'elle, un pinceau à la main. Je prends mon temps pour la maquiller, la rendre belle, ma grande sœur. Elle mérite de se sentir bien, même l'espace d'un instant.

Quant à moi, j'enfile un ensemble en laine marron, ample et confortable. Je me maquille comme d'habitude, en accentuant mes traits. Pas vraiment le look naturel, mais peu importe.

Une fois arrivées au barbecue, l'ambiance est déjà bien animée. La chaleur des grillades emplit l'air, mêlée aux éclats de rire et aux discussions animées. Je reconnais immédiatement quelques visages familiers dispersés dans le jardin, chacun occupé à bavarder ou à s'affairer autour de la table.

Je prends un moment pour saluer tout le monde. Les poignées de main s'enchaînent, accompagnées de sourires et de quelques plaisanteries échangées. Puis, soudain, mon regard se fige. Un peu à l'écart du groupe, adossé contre un arbre, se tient Eymen. Il est là, comme si de rien n'était, et pourtant, sa présence me surprend toujours autant. Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois que je le croise, quelque chose en lui me trouble. Mon regard s'attarde involontairement sur ses traits, sur ce visage aux contours à la fois familiers et mystérieux. Il y a quelque chose d'obsédant dans ses yeux, dans la façon dont il m'observe.

Par pure politesse, je m'approche de lui et lui tends la main. Il me la serre doucement, sans prononcer un mot. Mais ce silence est compensé par ce sourire à peine esquissé sur ses lèvres, un sourire qui ne semble exister que pour moi. Son regard, quant à lui, ne me quitte pas. Il me dévore littéralement des yeux, et je sens une étrange sensation de malaise monter en moi. Quelque chose dans son attitude me met mal à l'aise, mais aujourd'hui, pour la première fois, il paraît... différent. Presque gentil, bien que silencieux.

Je respire profondément et m'efforce de ne pas montrer mon trouble. Avec un sourire de façade, je m'éloigne de lui et me dirige vers le reste du groupe. Le bruit ambiant m'aide à chasser l'embarras, et bientôt, mon attention est attirée par une silhouette plus familière et rassurante. Là, un peu plus loin, je vois Théo.

Son visage s'illumine en me voyant approcher. Sans attendre, je m'avance vers lui, ravie de le retrouver.

-Théo !  dis-je avec enthousiasme en lui faisant un signe de la main. Mon sourire est sincère cette fois-ci. Je le salue chaleureusement, toute contente de le voir.

- Ça fait longtemps ! Comment tu vas ? lui demandai-je, joyeuse.

Théo me répond avec ce même air jovial qui lui est propre. Sa présence est un véritable soulagement après l'étrange interaction avec Eymen. Ici, entourée de mes amis, je sens mon cœur se détendre.

Je m'amuse à couper du bois avec Antonio. Le soleil commence à décliner, et l'air embaume déjà l'odeur du feu qui crépite à quelques mètres. Antonio, concentré, s'applique à chaque coup de hache, et je ne peux m'empêcher de sourire en l'observant.

Antonio est l'ami d'enfance d'Imran. De petite taille, avec ses cheveux lisses et châtains qui lui tombent presque dans les yeux, il porte toujours ses lunettes, lui donnant cet air juvénile. Ses traits sont doux, presque enfantins, et tout chez lui respire la gentillesse. C'est quelqu'un de simple, sans complications, toujours prêt à plaisanter et à rendre les moments agréables.

Sa nature facile à vivre le rend incroyablement attachant. Avec lui, pas de tensions ni de prises de tête. Il est également en couple depuis un bon moment, et sa relation semble solide. Antonio est quelqu'un de sérieux et fidèle quand il s'engage, à l'opposé d'Eymen, qui ne semble jamais vraiment capable de s'investir de la même manière.

Théo nous rejoint alors, un sourire taquin aux lèvres.

-  Nina, arrête, tu vas finir par te couper la main si tu continues à jouer avec cette hache, me lance-t-il en plaisantant, un éclat de malice dans le regard.

Je ris, pas du tout intimidée par sa remarque.

- C'est plutôt toi que je vais te couper la main, regarde un peu comment on fait, lui répondis-je, déterminée à lui prouver que je savais parfaitement ce que je faisais.

Je saisis la hache avec assurance, prête à fendre une nouvelle bûche, mais à peine ai-je levé le bras que je sens la main de Théo venir agripper le manche à son tour.

- Lâche ça, tu sais pas faire ! dit-il en riant, tout en essayant de me prendre la hache des mains.
- Jamais ! ripostai-je, éclatant de rire à mon tour.

Ce qui devait être un simple geste devient rapidement un jeu, et nous nous retrouvons à nous chamailler pour savoir qui gardera la hache. Nos rires résonnent autour de nous, attirant l'attention d'Antonio, qui nous observe amusé. Le moment est léger, complice, empreint de cette insouciance qui fait du bien.

Je me rends compte qu'avec Théo, tout est différent. À ses côtés, je me sens complètement en sécurité, comme si rien ne pouvait m'atteindre. Je souris sans effort, une légèreté que je n'avais pas ressentie depuis bien trop longtemps. Avec lui, il n'y a aucune complication, aucun poids sur mes épaules. Juste la simplicité du moment, et cette étrange impression d'être enfin heureuse, sans retenue.

Alors qu'il rit et m'attrape par la taille, tentant de me faire tomber au sol dans un geste plein de malice, quelque chose se brise en moi. Son étreinte, pourtant innocente, réveille en moi un souvenir que j'avais enfoui profondément. Soudain, une image surgit dans mon esprit, nette et brutale. Un souvenir lointain, presque oublié, mais toujours douloureusement présent. Je revois ce moment, ce traumatisme qui m'a hantée toutes ces années.

J'étais si jeune... trop jeune pour comprendre pleinement, mais assez pour que la douleur me marque à jamais. Mon cœur se serre, et l'insouciance du moment disparaît en un instant.

AnlamadımOù les histoires vivent. Découvrez maintenant