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Jonathan referma derrière lui la porte d’entrée du petit deux pièces qu’il partageait avec Stacy depuis cinq années. Au bout du couloir plongé dans l’obscurité, face à lui, seule la lumière blafarde et le bruit étouffé de la télévision trahissaient la présence de la jeune femme. Il se déchaussa dans le noir. Il pouvait enfin soulager ses épaules de ce sac à dos que les jours alourdissaient. La veste qu’il venait d’accrocher au porte-manteau tomba au sol. L’effort qu’il fournit pour faire demi-tour et la remettre à sa place lui parut insurmontable. Il l’entendit tomber à nouveau et se retint d’hurler. Fermant ses yeux, il sentit monter depuis ses côtes jusqu’à l’extrémité de ses doigts une haine viscérale pour le monde entier. Il voulut frapper quelque chose, détruire de ses mains. D’un geste vif, Jonathan la ramassa pour la deuxième fois puis la jeta violemment contre le mur.

— C’est toi Joe ? lança la voix dans le salon.

« Quelle conne celle-là aussi, bien entendu que c’est moi » pensa-t-il.

— Tu peux passer par la cuisine et me ramener un soda ? demanda-t-elle.

Il s’exécuta, posa la canette à côté d’elle et, sans un regard échangé, sans un effleurement, il prit place sur le canapé. Leurs corps avaient appris à ne plus se toucher. Ils s’évitaient. Comme l’huile et l’eau, ils ne se mélangeaient plus. Des mois qu’ils n’avaient plus fait l’amour. Leurs derniers ébats n’avaient de toute manière pas été très concluants, ni pour lui ni pour elle.

Alors, pourquoi restait-il ? Il s’était souvent posé la question. L’habitude peut être. Et puis, il n’avait personne à qui demander de l’aide pour un déménagement. Il avait coupé les ponts avec toutes les personnes qui avaient pu, un jour, compter pour lui.

La télévision dégueulait ses débilités habituelles rythmées avec les rires d’un public d’abrutis incultes. Il avait toujours mis un point d’honneur à ne pas y prêter attention mais, les choses qui autrefois glissaient sur lui, s'accrochaient désormais. Elles pesaient comme une épaisse mélasse et rendaient difficile son quotidien.

— Comment tu peux supporter de regarder des conneries pareilles ? lâcha-t-il dans un soupir.

Elle ne répondit pas. Il sentit le poids sur sa poitrine revenir, de la base de son cou jusqu’à la pointe de ses côtes. Il déglutit avec difficultés, répétant l’opération difficile plusieurs fois. Le passage était de plus en plus étroit. Stacy s’alluma une cigarette. Il ne supportait plus l’odeur de la fumée qu’il avait, lui, réussi à arrêter. Il détestait qu’elle fume à l’intérieur, elle le savait. Jonathan lui avait répété plusieurs fois mais, elle oubliait.

— T’es sérieuse là ? Putain Stacy, il faut te le dir…

— Hé, t’sais quoi, si t’es pas content tu peux aller ailleurs !

Elle l’avait invité à quitter les lieux sans poser le moindre regard sur lui, trop absorbée par les énormités débitées par un animateur surexcité par la cocaïne. Elle recrachait la fumée avec bruit. Le son que faisait ses ongles longs contre le filtre jaune qu’elle tapotait pour enlever le surplus de cendres, résonnait  dans les oreilles de Jonathan. Il serra la mâchoire jusqu’à la douleur et ses yeux s’embrumèrent. Il accepta la proposition, prenant la direction de l’entrée.

— Attends ! dit-elle.

Il essuya d’un revers de la main sa joue humide et se retourna vers elle.

— Si tu sors, tu peux me prendre deux paquets de clopes ? J’ai oublié d’en acheter aujourd’hui.

Elle daignait enfin le regarder et, sans le voir, lui tendit un billet. Bien sûr qu’elle avait oublié. Elle restait ses journées cloîtrée à l’intérieur à faire la navette entre la télévision, le frigo et les toilettes mais n’avait pas le temps de se doucher ni d’enfiler des vêtements décents pour aller acheter ses propres cigarettes. Jonathan prit l’argent, l’enfouit dans la poche d’un jeans dans lequel il nageait depuis quelques mois maintenant et reprit son chemin.

Tant que je peux voir la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant