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Autour de lui, les gens s’agitaient dans un balai bruyant et dissonant, leurs pas étouffés par la moquette rouge qui recouvrait l’entièreté du sol. Les couleurs se mélangeaient et les sons ne formaient plus qu’un brouhaha, un bourdonnement assourdissant. L’étage baigné par les lumières blafardes et artificielles d’un plafond de couleur crême découpé en dalles uniformes à l’organisation parfaite, abritait plusieurs bureaux comme le sien. Eux-mêmes, accueillaient chacun un employé, comme lui. Un maillon dispensable d’une chaîne froide, aux objectifs implacables. Leurs regards, rivés sur des tableaux, des graphiques colorés ou des lignes de contrats abscons débordants de termes incompréhensibles ne quittaient qu'à de rares occasions l’écran face à eux. Oreillettes vissées, prêts à dégainer au moindre appel, chaque employé répondait aux besoins multitâches imposés par leur hiérarchie. Être meilleur que son voisin, manger plus vite que lui, ou mieux, se priver de repas pour boucler un dossier déjà en retard une fois confié. Tel était le leitmotiv d’un système à l’apparence bien huilée mais aux rouages grignotés par la rouille. Plusieurs minutes que le clignotement régulier du curseur sur le moniteur surdimensionné qui trônait sur son bureau obnubilait les pensées de Jonathan.

La diode verte du poste téléphonique scintillait. Ses yeux furent attirés, formatés à répondre à ces stimulus; ils se tournèrent spontanément vers la source étincelante. Ses mains, elles, ne se décollaient pas du clavier de l’ordinateur sur lequel elles étaient tétanisées. Passés les premiers clignotements, une sonnerie retentit dans son oreille gauche, le rappelant à l’ordre, puis une autre. Il ne bougeait pas, paralysé. Après plusieurs sommations discrètes, l’appareil émit un signal sonore audible par tous autour. Une main lui bouscula l’épaule.

— Hé, t’entends pas ou quoi ?

Son voisin, l’employé en pull beige à mailles et dont les revers au pantalon laissaient apparaître ses chevilles poilues de trentenaire faussement à la page, retourna s’asseoir à son poste. Il levait les yeux au ciel, visiblement perturbé par l’inaction de Jonathan.  Ayant recouvré ses esprits, il appuya mécaniquement sur l’appareil à son oreille pour accepter l’appel.

— Tu as fini avec le dossier Josberg ? Tu m’as dit hier que je l’aurai sur mon bureau avant mercredi, dit la voix au téléphone. 

Il reconnut immédiatement le ton hautain de Steve, son manager arriviste qui, parmi toutes les tares qui le qualifiait, avait la fâcheuse tendance à avoir les dents qui rayaient le parquet. Un silence de quelques secondes s’en suivit, durant lesquelles le regard de Jonathan se posa sur la chemise cartonnée jaune d’où dégueulaient de nombreux papiers. Josberg était écrit sur la couverture.

— T’es là ? tonna, teintée d’impatience, la voix au téléphone.

— Oui.

— Et on est quel jour là ?

Son manager avait une intonation aiguë et désagréable à chaque fois qu’il n’arrivait pas à contenir son agacement, ce qui arrivait assez régulièrement. 

« Quel jour on est ? C’est une putain de bonne question, j’en ai foutrement aucune idée. Jeudi ? Dimanche ? Peut-être vendredi. » 

Alors, son regard s’égara dans le coin inférieur droit de l’écran de son ordinateur. Il répondit innocemment :

— Le 2 mars ?

— On est mercredi gros malin !

Après un long soupir et devant l’absence de réponse de Jonathan, la voix du manager au téléphone reprit :

— Tu as jusqu’à 16 heures. Après j’suis en visio avec le client, on doit voir comment booker les prochaines réu. C’est bon pour toi Joe ?

— …

Tant que je peux voir la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant