15 - Canapé Chesterfield

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— Pardon ? lâcha Tristana, médusée.

Elle vit César se pencher avec exaspération vers la portière droite et la déverrouiller du bout des doigts.

— Tu es tout excusée. Maintenant, dépêche-toi avant que quelqu'un nous repère.

Renonçant à répliquer, la lycéenne balaya les environs du regard pour s'assurer que personne ne la voyait, puis elle se faufila à l'intérieur de la voiture. Les sièges étaient en cuir noir, assortis à la carrosserie. Lorsqu'elle voulut claquer la porte, celle-ci se freina à quelques millimètres de la fermeture pour se clore sans un bruit.

— Quelle brute, souffla César.

— Désolée, grimaça Tristana.

Toute son agressivité s'était évaporée devant tant de faste. C'était la première fois qu'elle montait dans une berline aussi luxueuse, et la présence d'un chauffeur à l'avant l'intimidait. Aussitôt qu'elle eut attaché sa ceinture, le véhicule démarra. Osant à peine s'appuyer contre le dossier, elle restait bien droite, son sac sur les genoux pour ne pas risquer de griffer le cuir du siège devant en le glissant à ses pieds.

En la voyant détailler l'intérieur de la voiture, César réprima un sourire. Il finit par se racler la gorge pour ramener l'attention sur lui.

— Elle te plaît ?

— Hein ? Qui ça ? sursauta Tristana.

Il secoua la tête avec amusement.

— La BM.

Elle-même ne savait pas trop quoi en penser. L'intérieur était certes très élégant, et l'adolescente ne doutait pas qu'il soit très confortable également, mais l'étalage de toute cette richesse la mettait mal à l'aise. Est-ce qu'il va au lycée là-dedans tous les jours ? Comme pour répondre à sa question silencieuse, César précisa :

— C'est celle de mon père. Mais quand il est à l'étranger, mon chauffeur a le droit de l'utiliser.

Cela signifiait-il qu'il avait aussi sa propre voiture ? À dix-sept ans ? Et qu'ils avaient plusieurs chauffeurs dans la famille ? Déjà qu'un seul lui semblait beaucoup... Chez elle, il y avait la voiture familiale, et la voiture de fonction de son père. Elle commençait à peine à entrevoir le gouffre économique qui les séparait, et elle en avait déjà le tournis.

— T'es venu me chercher avec pour m'impressionner ? plaisanta Tristana pour se redonner une contenance.

— Je suis pas sûr d'avoir besoin de ça, ricana-t-il.

Retrouvant son sérieux, il poursuivit :

— On a failli se faire prendre, samedi. Par sécurité, je pense qu'il vaudrait mieux qu'on travaille chez moi plutôt qu'à la bibliothèque.

Tristana hocha la tête. Elle était d'accord avec lui. Ce qu'elle craignait par-dessus tout, c'était que quelqu'un découvre leurs manigances. La nouvelle risquerait alors d'arriver aux oreilles de sa sœur ou de Sophie, et elle pourrait dire adieu à leur amitié. Un frisson désagréable remonta le long de son dos. Se projeter dans de telles éventualités la crispait.

***

Après une demi-heure de route, le véhicule finit par s'immobiliser devant un grand portail métallique. Derrière, Tristana décela un long chemin gravillonné bordé de peupliers aux teintes rougeoyantes de l'automne. Au bout de l'allée demeurait un petit château rectangulaire à la pierre beige et lumineuse, typique des façades bordelaises. Les battants du portail s'ébranlèrent, et la voiture s'engagea sur la voie.

Si Tristana s'était sentie incommodée en s'installant dans la berline un peu plus tôt, ce n'était rien comparé au malaise qu'elle ressentit en franchissant la grande porte d'entrée en bois massif. L'intérieur moderne du manoir tranchait avec le traditionnel de l'architecture. On sentait que des gens vivaient vraiment ici. Toutefois, la hauteur sous plafond et les quelques pans de mur non recouverts par la peinture rappelaient le prestige du bâtiment.

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