1 - Délinquants en herbe

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Tristana marchait vite. Chemise en carton sous le bras, elle avançait d'un pas pressé dans les couloirs vides du lycée Clovis. Ses pas résonnaient, rythmant ses pensées. D'abord, les casiers. Ensuite, les manuels. Et en dernier, le gymnase. Sa liste mentale tournait en boucle dans sa tête, comme le refrain d'une chanson qu'elle aurait trop écoutée. Le regard attentif, elle scrutait les numéros plaqués sur le devant des casiers.

Pour Tristana, rentrée était synonyme de complications. Nouvel emploi du temps, nouveaux professeurs, nouveaux camarades de classe... Elle se complaisait dans la routine, et détestait qu'on vienne bouleverser son quotidien. Aussi le brusque déménagement qu'elle avait eu à subir lui restait tout particulièrement en travers de la gorge. En plus des traditionnelles perturbations de début septembre, elle devait maintenant encaisser une deuxième rentrée à des kilomètres de sa ville natale, et ce seulement un mois après la première.

Tandis qu'elle ruminait, elle aperçut du coin de l'œil un mouvement dans un passage perpendiculaire au couloir principal, et elle ne put s'empêcher de tourner la tête. Qu'est-ce que...? Vaguement dissimulé derrière un bloc de casiers, un groupe d'adolescents s'affairait sur un mur. Équipés d'un matériel dernier cri – bombes de peinture et pochoirs artisanaux – ils s'appliquaient à recouvrir le vieux papier peint écaillé avec des phénix rouge et or.

Mal à l'aise, elle détourna le regard. Ce ne sont pas mes affaires. Elle reprit son chemin, déterminée à vivre une rentrée sans accrocs. Soudain, quelqu'un la saisit par le bras.

— Eh ! protesta-t-elle en se dégageant. Ça va pas ?!

C'était un garçon très grand, qui faisait peut-être deux têtes de plus qu'elle. Elle se calma aussitôt, inquiétée par son sourire mauvais. Il avait l'air d'un psychopathe s'apprêtant à noyer un chat. Calme-toi, Tristana. Tu es dans un lycée, il ne peut rien t'arriver. Ses tentatives d'auto-rassurance n'eurent pas beaucoup d'effet, puisqu'elle sursauta lorsqu'il s'exclama d'un ton enjoué :

— Les mecs, venez voir ce que j'ai trouvé !

Il entraîna Tristana vers le passage isolé qu'elle venait d'ignorer, la serrant d'une poigne dont elle n'osa pas se défaire. Les délinquants en herbe s'étaient interrompus, bombe aérosol à la main, et la toisaient de loin. Leur uniforme prestigieux tranchait avec l'air rebelle qu'ils voulaient se donner. De leur veste de costume se détachait clairement un phénix rouge et or, et Tristana comprit. Le lycée Ausone.

— Mais qu'avons-nous là..., susurra une fille en se détachant du groupe. Quel adorable petit hibou !

Le hibou, c'était elle. Tristana ne portait pas d'uniforme à blason, mais elle se souvenait très bien du hibou à lunettes qui ornait son carnet de liaison. Plus tôt dans la journée, le proviseur l'avait prévenue : « Juste en face de notre établissement, vous verrez le lycée Ausone. Ne confondez pas, vous risquez d'être mal accueillie ! » avait-il plaisanté.

De ce qu'elle avait compris, les deux écoles étaient rivales. Les enseignants eux-mêmes cultivaient cette compétition, escomptant en tirer une émulation saine pour les élèves. « Enfin, je les soupçonne de prendre goût à cette guerre ! » avait ajouté le vieil homme avec un clin d'œil.

En outre, Tristana n'avait jamais entendu parler du lycée Clovis. Alors qu'elle rêvait d'intégrer le lycée Ausone depuis qu'elle avait, quoi... douze ans ? Le lycée était de renommée nationale, réputé pour sa prépa d'exception capable d'ouvrir les portes de n'importe quelle formation supérieure. C'était d'ailleurs le seul avantage de son déménagement : se retrouver à deux pas de l'école de ses rêves, avec l'espoir de pouvoir y étudier un jour. Bien sûr, elle avait atterri à Clovis.

La fille continua à s'avancer, et la brute qui lui enserrait le bras finit par la relâcher. Tristana hésita à s'enfuir, mais elle repensa à son 11 de VMA et finit par renoncer. Elle scanna rapidement le couloir où elle se trouvait, et constata qu'il n'y avait ni adulte responsable à l'horizon, ni valeureux chevalier à même de la sauver. En revanche, elle remarqua une caméra au plafond. Elle se détendit instantanément, désormais certaine qu'elle ne risquait rien de plus que des insultes.

— Ha, ne te fais pas d'illusions, ricana la fille qui avait suivi son regard. Les caméras de ce bahut ne fonctionnent pas, c'est seulement dissuasif.

Tristana déglutit. La lycéenne d'Ausone s'était arrêtée devant elle, bras croisés sur son impeccable chemisier blanc, ses longs cheveux noirs et brillants – qui devaient sentir très bon, Tristana en était sûre – retombant en cascade jusqu'à sa taille. Elle la fixait avec un air menaçant.

— Que ce soit clair..., commença-t-elle. Tu n'as pas intérêt à nous dénoncer, ou on te fera vivre pire que l'enfer.

À la base, j'étais juste en train de marcher... Je n'ai rien demandé, moi. Tristana aurait bien voulu jouer les courageuses, comme une héroïne digne de ce nom. Sans aller jusqu'à les provoquer, elle aurait balancé une ou deux répliques bien senties, et s'en serait tirée avec une peste en guise de pire ennemie. Rien de tragique jusque-là.

Cependant, il n'y avait que trois manières d'entrer à Ausone : être vraiment très riche, être vraiment très doué à l'école, ou être riche et doué à l'école. Or l'attitude orgueilleuse de la lycéenne semblait crier à quelle catégorie elle appartenait, et Tristana ne doutait pas que si elle le voulait vraiment, elle pourrait en effet lui gâcher la vie. Surtout si elle finissait effectivement par intégrer Ausone. Prudente, elle décida de faire profil bas.

— Je ne dirai rien, assura Tristana d'une voix qu'elle voulait confiante.

— Oh, bien sûr que tu ne diras rien, petit hibou. Parce que tu n'as rien vu, finit la lycéenne en retirant les lunettes du nez de sa victime.

Avec un sourire cruel, elle les brandit au-dessus d'elle, s'apprêtant sans doute à les lâcher par terre. Tristana faillit rouler des yeux. Elle se sentait lasse, attendant son sort avec résignation. Elle se demandait si elle aurait pu éviter que ça se termine comme ça. Son instinct lui soufflait que non, car c'était la rentrée, et qu'une rentrée se passait toujours mal. C'était la règle. De plus, la fille en face d'elle semblait raffoler du harcèlement de pauvres jeunes lycéennes innocentes.

— Ça suffit, Jia. Tu vas la faire pleurer, se moqua une voix masculine.

Tristana distingua une silhouette trouble s'approcher de son bourreau et attraper ce qu'elle supposait être sa paire de lunettes. L'adolescent, qui la dépassait d'une tête, se pencha vers elle avec un sourire amusé.

Soit c'est mon preux chevalier, soit c'est l'épée qui vient m'achever.

~***~

Et voici le premier chapitre ! Juste à temps pour la rentrée, en espérant que la vôtre soit moins mouvementée que celle de Tristana 🫢

Alors, qu'est-ce que vous pensez de notre héroïne ??

Alors, qu'est-ce que vous pensez de notre héroïne ??

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Bisous bisous
Talia

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