Le Plus Mauvais Roman du monde

5. La Librairie

Ils poursuivirent leur chemin, stupéfaits de constater que chaque rue était plus laide encore que la précédente.

Téméraires, ils s'engagèrent dans une ruelle qui avait tout l'air d'être un coupe-gorge.

Surprise, il y avait une librairie, l'Aspirateur à gonzesses.

« Une librairie dans cet univers ? C'est louche ! s'exclama Pif.

— Vu le nom qu'elle porte, elle ne doit proposer que des revues pornos, dit Paf le chien.

— Je sais, c'est pô bien, dit Pif, mais ça fait des années-lumière que j'ai pas vu une meuf correctement gaulée. J'entre.

— Je vois, Monsieur est amateur de cochonneries, dit Paf le chien qui lui emboîta le pas.

Un haut-parleur diffusait une musique effroyablement sirupeuse. C'était la chanson « Il y a un time pour tout » de Raphaël Blanchet.

« Oh non, dit Paf le chien. Le bobo qui rote en chantant. Ça commence bien ! »

La librairie était tenue par un gros homme rougeaud qui feuilletait une revue pornographique et lorgnait les clientes féminines d'un œil torve, — cela ne le décourageait pas qu'elles fussent toutes d'une laideur insondable, avec des seins carrés, des yeux à fleur de tête et des cheveux qui ressemblaient à des nouilles.

Nos deux héros musardèrent. Les rayonnages étaient remplis d'ouvrages épouvantables écrits par des nullités. Il y avait fort à parier que ces abominations n'avaient jamais intéressé personne, — il était même à peu près certain que leurs auteurs eux-mêmes n'auraient pas supporté de les relire.

On trouvait aussi des best-sellers. Non sans mal à cause de son absence de mains (fort heureusement, il lui était possible de tordre les bras dans tous les sens et de s'emparer de certains objets comme les livres, les crayons et les armes à feu), Paf le chien se saisit du dernier Denis Blanchet (le père de Raphaël). C'était une plaquette égrotante intitulée les Gens sont comme aç et autres phrases transcendantales.

Ce qui lui tomba sous les yeux était tellement écrit avec le pied que sa bouche toute tordue s'ouvrit démesurément. Son visage en fut complètement déformé, — encore plus que d'habitude, ce qui n'était pas un mince exploit vu la laideur insondable du personnage.

On trouvait aussi les œuvres complètes de Marc Lévy, dont la Symphonie des monstres que Paf le chien feuilleta après avoir jeté les Phrases transcendantales par-dessus son épaule.

« Misère ! s'exclama-t-il en se bouchant le nez. J'ai beau être l'un des héros du plus mauvais roman du monde, j'ai du mal à lire cette horreur.

— Attends, je rêve, qu'est-ce que c'est que ça ? » dit Pif.

Bon sang, qu'est-ce que notre héros avait découvert ? Était-il possible qu'il y eût un bon livre à l'Aspirateur à gonzesses ???... Suspense intolérable !