Le Plus Mauvais Roman du monde

7. D'un livre à l'autre

Pif était abasourdi par ce que venait de lui souffler à l'oreille Paf le chien. Ainsi donc, il existait des livres-passerelles ?

Il pressentait que cette révélation allait entraîner de très grands bouleversements dans son existence. Je dirai même : D'ÉNORMES BOULEVERSEMENTS.

Peu enclin à se battre, il s'était déjà résigné à l'idée : il passerait le reste de son existence dans le Plus Mauvais Roman du monde. Mais il s'était trompé : apparemment, il était possible de claquer la porte de ce navet pour se plonger dans un chef-d'œuvre !

Là était l'issue. Le but suprême. La lumière au bout du tunnel. Il ne se sentait plus de joie.

De héros sans objectif, sans consistance et sans envergure, il devenait un héros menant une quête. Il n'avait jamais vraiment vécu, tout ne faisait que commencer.

Saperlipopetouille ! se dit-il. Je suis Lancelot. Et Pample Cisma est mon Saint-Graal.

— Sois plus clair, souffla-t-il à Paf le chien.

— Un livre-passerelle est un bouquin qui n'appartient pas à cet univers dégueulasse. Il ne se trouve pas là par hasard : c'est une porte vers un autre univers beaucoup plus lumineux. En l'occurrence, celui de Pample Cisma.

— Tu plaisantes ?

— Je suis on ne peut plus sérieux.

Paf le chien n'était pas moins excité que son ami. Quitter le Plus Mauvais Roman du monde et aller dans Months signifiait un changement radical de destinée.

Ils allaient faire la connaissance de June aux cheveux entremêlés de capucine. Ils la verraient virevolter avec Septembre, ils se sentiraient pousser des ailes, cette danse ne manquerait pas de les emporter dans son tourbillon de feuilles mordorées.

Ils verraient Mai se languir d'amour pour Octobre. Sous leurs yeux, Août à la belle peau brune envelopperait de son étreinte Mars qui reprendrait goût à la vie alors que le ressentiment et l'amertume étaient sur le point de le faire sombrer.

Dans le ciel, Janvier et Février s'accoupleraient sans obscénité, comme une poésie qu'on écrit d'une main légère en entendant le vent froid souffler dans les branches.

Juillet tomberait amoureuse de December et de ce choc des tempéraments opposés naîtrait une spectacle inoubliable, — giboulées qui se déversent sous le soleil ardent, eau glacée dans la chaleur étouffante, flamboiement cristallin de gouttelettes en feu...

« Cela veut dire qu'on va pouvoir se barrer d'ici ? demanda Pif à voix étouffée.

— Si fait.

— Bande de chiens galeux, ôtez vos sales pattes de ce bouquin et allez voir ailleurs si j'y suis ! » leur hurla dessus le librairie en arrachant Months à Paf le chien et en leur administrant un coup de pied au derrière qui les projeta dans la rue.

« C'était trop beau pour être vrai, geignit Paf le chien.

— C'est vraiment le plus mauvais roman du monde ! » ajouta Pif.