6. L'Incroyable Pample Cisma

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Avec son énorme gueule aux dents cariées, Pif avait attrapé Months de Pample Cisma. Paf le chien faillit en avaler sa propre bouche (ce qui était possible tellement son visage était mal fichu).

— Ouuuuuuups ! glapit-il, — et pour le coup, il aurait pu être pris pour un véritable chien. Un Pample Cisma ! Je rêve ou quoi ???...

Mais oui, c'était bel et bien un Pample Cisma (pamplecisme). L'autrice de Months, mais aussi de Violette, de Papa, d'Ophélie et de Vies, (avec une virgule à la fin).

Là, j'avoue, j'en perds mes mots car l'émotion me submerge. Pample Cisma dans l'un de mes romans !

Pif n'était pas un grand lecteur (il n'avait jamais lu que des revues de fitness et son intérêt pour l'art se réduisait à une passion démesurée pour le chanteur Jean-Lou Lamberty) mais il CONNAISSAIT CETTE MEUF. Dans une vie antérieure, c'est-à-dire du temps où il revêtait encore une apparence humaine, il l'avait vue à la télé. Elle était interviewée dans une émission littéraire qu'il s'était senti obligé de regarder afin de séduire une fille plutôt bien gaulée du nom de Simplicity, étudiante en lettres qui se piquait de sensibiliser son chevalier servant aux joies de la littérature.

Étourdi, ébloui, foudroyé, Pif était immédiatement tombé sous le charme capiteux de cette nouvelle étoile des lettres françaises, blonde aux yeux bleus qui avait ensuite alimenté moult de ses rêveries. Combien de fois, dans les années qui avaient suivi, son visage diaphane, immarcescible et bénéolent ne lui était-il pas apparu à l'occasion des sinistres promenades qu'il avait faites dans son quartier à la nuit tombée, au son de l'eau saumâtre qui ruisselait le long du trottoir ?

Car sa seule chance d'en finir avec le célibat avait été anéantie ce soir-là : Simplicity, brune dont la beauté ne pouvait rivaliser avec celle de Pample, n'avait guère apprécié que son prétendant se montrât aussi intéressé par une blondasse et l'avait chassé de chez elle avec force hurlements.

Mais peu importait qu'il eût raté l'occase. Il y avait eu Pample Cisma et c'était tout ce qui comptait. Il gardait peu de souvenirs de sa vie antérieure, — sans doute, d'ailleurs, avait-elle été à peine moins nulle que sa vie présente. Mais il y avait eu cette soirée où il avait littéralement bu les paroles de l'écrivaine et dévoré son visage. Et cela avait suffi pour justifier son existence.

Quant à Paf le chien, il avait gobé tous les bouquins de Pample et les avait relus régulièrement jusqu'à ce qu'un coup de sort ne le téléportât dans le Plus Mauvais Roman du monde, c'est-à-dire ici-même, dans ce monde abominable où les mots ne surgissent que sous la contrainte, où la grammaire se disloque tellement elle souffre et où les phrases, honteuses d'elles-mêmes, boivent pour oublier.

— Hé hé ! dit Pif. Un bon livre stylax et qualitatif ! Celui-là, il est À MOI ! En plus, y a sa photo en quatrième de couv' ! Ha ha ha !

Paf le chien s'assura que le libraire était toujours plongé dans sa revue pornographique et s'approcha de l'oreille de Pif (ou, à tout le moins, de ce qui ressemblait à une oreille, mais il aurait pu aussi bien s'agir d'un bubon ou d'une cloque) :

— Chuuuuuut, Pif, reste discret !!! La présence de ce livre ici est totalement impossible. C'est un signe !

— Un signe ? Explique moi donc, je t'en prie !!!

— Il s'agit certainement d'un livre-passerelle...


Le Plus Mauvais Roman du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant