10. Le Funérarium

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Il leur fallut un peu plus d'une heure de marche pour arriver au funérarium.

Le bâtiment en lui-même ne constituait guère une attraction touristique : c'était une espèce de hangar en parpaing sans enduit extérieur, avec un toit en tôle ondulée et deux cheminées d'où s'échappaient par petites bouffées une légère fumée grise, un peu comme la pipe d'un petit vieux un peu vicelard attablé à un café au bord de la mer en train de regarder défiler les jeunes beautés en short et en débardeur (avec, pour trois d'entre elles, le slogan Femmes boniches, femmes potiches, femmes affiches, y en a plein les miches) et attentif à catégoriser les formes de fesses (pour rappel, en O, en A, en H, en C ou en V, les miennes, d'ailleurs, sont... euh, je m'égare). Pardon pour la profonde vulgarité de cette comparaison mais je vous rappelle, au cas où vous l'auriez oublié, que nous sommes dans le Plus Mauvais Roman du monde. C'est dans ce lieu, et dans nul autre, que sont appelés à échouer les pires comparaisons de tous les temps, qu'on se le dise ! Parce qu'il faut bien, tout de même, que je puisse me targuer d'une supériorité quelconque sur les autres écrivains !

« Tais-toi, dit Paf le chien. T'as beau être l'autrice, t'en es pas moins au service des personnages. Débiter des banalités et ne pas faire avancer l'action, c'est notre taf, pas le tien. Contente-toi d'écrire mal et surtout ferme-la. »

Cet argument sembla faire mouche et nos deux amis s'avancèrent vers le funérarium, heureux que les projecteurs se fussent détournés de moi et eussent enfin été braqués sur eux à nouveau.

Devant le funérarium s'était formée une IMMENSE QUEUE. Surprise, elle était exclusivement composée d'êtres tout à fait bizarres.

Vous allez me dire : c'est normal dans ce roman où les êtres sans bras, à deux têtes ou à trois fesses sont monnaie courante tant le manque de soin de l'autrice y est perceptible. Certes. Mais la bizarrerie dont il est question ici était d'un genre spécial.

TOUTES, je dis bien toutes les personnes étaient anatomiquement normales. Il n'y avait ni lézard à roulettes, ni tête sur pattes, ni bouche géante aux dents cariées montée sur une énorme paire de jambes.

Au contraire, les gens avait souvent le teint pâle, l'air raffiné. Il se dégageait d'eux une aura particulière. Abîmés dans leurs pensées, ils avançaient d'un pas mécanique. Certaines filles avaient négligé de se coiffer, mais cela ne faisait qu'ajouter à leur beauté transcendantale. Certains garçons se donnaient des airs de dandies avec leur lavallière et leur chemise blanche à col pelle à tarte. L'un d'entre eux, d'ailleurs, tenait une lyre dont il arrachait de temps à autre un accord fugace.

Quelques meufs chantaient à mi-voix. Pif approcha ce qui lui faisait office d'oreille : contre toute attente, il n'y avait pas de fausse note.

Deux filles, de toute évidence des étudiantes en arts plastiques, se trouvaient en tête de queue. Elles étaient encore occupées à griffonner fiévreusement dans leur carnet de croquis quand les portes du funérarium s'ouvrirent brusquement et que des mains puissantes les saisirent par le col de leur petit haut avant de les faire disparaître dans les entrailles du hangar.

« Bon sang, dit Pif. Je comprends rien. C'est qui ces gens ?

— Ce sont toutes les personnes talentueuses ou géniales qui ont échoué dans le roman, expliqua Paf le chien. Je ne sais pas ce qui leur a pris de mettre les pieds ici. Dès qu'elles franchissent le pas de la porte du funérarium, elles sont décapitées et jetées dans une fosse. Dans le Plus Mauvais Roman du monde, pas de place pour le génie ou le talent.

— Triste spectacle, dit Pif. Tu n'aurais pas quelque chose de plus drôle à me montrer ?

— Bien sûr que si, dit Paf le chien. Il y a l'immeuble des V.I.P.

— L'immeuble des V.I.P. ?

— Mais oui. Le Plus Mauvais Roman du monde a aussi ses V.I.P. Suis-moi... »

Ils firent demi-tour, en quête de nouvelle aventures absolument palpitantes.


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