9. Cause then the flames grow higher, babe

11 4 9
                                    

« C'est pas humain de jouer aussi bien de la basse, dit Pif. Malheureusement, y a des notes qui m'échappent.

— Normal, dit Paf le chien. T'as que des embryons d'oreilles. Et les miennes sont pas tellement mieux. C'est pour ça qu'on se crie dessus depuis le début du roman.

— On monte ?

— Et comment ! Pour une fois qu'il se passe quelque chose ! »

Ils s'attendaient à un escalier où il eût manqué une marche sur trois et où elles auraient été toutes de travers ; au contraire, elles luisaient tranquillement dans la pénombre ; elles semblaient avoir été cirées de fraîche date.

L'appartement où la belle rousse jouait son morceau se trouvait donc au cinquième étage. Il leur fut aisé de le trouver : il était indiqué BELLE ROUSSE sur l'une des portes.

« Je me sens tout chose », confia Pif en appuyant avec son pied sur la sonnette.

Mais personne ne répondit. À son tour, Paf le chien appuya. Ils frappèrent à la porte. De l'autre côté, la musique se poursuivait. Peut-être cette belle fille à la crinière fauve était-elle trop absorbée par l'interprétation de son morceau et ne les entendait-elle pas.

Pif actionna la poignée : c'était ouvert.

La pièce dont les fenêtres donnaient sur la place circulaire était un vaste salon décoré de tableaux anciens où l'on pouvait reconnaître Melpomène et le satyre d'Eustache Le Sueur (il va sans dire que Pif et Paf le chien, pour leur part, étaient bien incapables d'identifier l'auteur du tableau et encore moins d'en donner le titre, — moi non plus, du reste, je n'en suis pas capable, c'est mon relecteur Fernando Tistic, féru d'arts plastiques et de vieilleries picturales, qui vient de me signaler ces détails inutiles).

Ils s'approchèrent de la rousse. De près, elle était d'une beauté à vous ôter l'usage de la langue pour toujours, ce qui aurait mieux valu pour nos héros car ils étaient de ceux qui ne prononcent de leur vie aucune parole digne de rester à la postérité.

Pif se voyait déjà en train de parler des étoiles du ciel qui ont été subtilisées afin d'être mises toutes à la fois dans les yeux de la belle. Moins poétique, Paf le chien s'imaginait en train de prendre son petit déjeuner avec elle après une brûlante nuit d'amour. À n'en pas douter, cette femme était de celles pour lesquelles il valait la peine de tout sacrifier.

En fait, c'était juste un morceau de carton où l'on avait collé un dessin conçu par I.A.

Sur une petite chaise à côté d'elle se trouvait un vieux magnétophone à cassette d'où sortaient des arpèges cristallins.

Nos héros ne se formalisèrent pas : c'était dans l'ordre des choses. Jamais un tel canon, de surcroît avec un talent pour la musique, n'aurait consenti à intégrer le Plus Mauvais Roman du monde.

Les mains (ou plutôt ce qui, concernant Paf le chien, lui servait de mains) et l'absence de mains dans les poches, ils quittèrent l'immeuble.

« Pfff, c'est vraiment le plus mauvais roman du monde, pesta Pif. Quoi faire maintenant ?

— Je sais pas, dit Paf le chien. Y a un funérarium pas loin, ça te dit d'aller voir ?

— Ça ou autre chose », dit Pif.

Mais il avait une idée derrière la tête. Qui dit funérarium dit dépouilles mortelles. Et qui dit dépouilles mortelles dit possibilité de mourir. Cela signifiait que cet univers était de ceux où l'on pouvait expirer. Voilà qui était fichtrement intéressant...


Le Plus Mauvais Roman du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant