Je pense que je vais le faire. C'est ça. Il n'y a pas d'autre solution, si ? Pas d'autre moyen d'échapper à cette douleur sans nom, sans fin, et sans pitié qui me taillade. Alors je vais descendre, je vais verrouiller cette porte d'entrée, et ouvrir les placards de cette salle de bains. Je vais emporter ces plaquettes de médicaments, ces boîtes entières, que je viderais au fur et à mesure que les heures passeront.
Je vais faire ça.
Ma sœur joue, à côté, enchaînant barbies, et courses à dos de licornes, passant par quelques princes charmant la sauvant d'un monstre impitoyable. Je voudrais aller la voir. Je voudrais lui dire qu'elle ne doit pas grandir, qu'elle doit rester dans cette chambre rose, et continuer de jouer. Je voudrais la serrer dans mes bras, lui dire que je l'aime. Je voudrais l'enfermer là, empêcher le temps de l'atteindre, parce qu'après ce sera trop tard. Ce sera trop tard, elle s'arrêtera de jouer, et le monstre aussi. Il deviendra réalité.
Mais la réalité n'est pas aussi belle que ses jeux. Dans la réalité, le prince ne vient pas nous sauver, il n'existe pas. Dans la réalité, les princesses ne sont pas amies, elles se jugent et sont en compétition. Dans la réalité, si tu cries à l'aide, personne n'entend. Personne ne voit. Personne ne vient. Dans la réalité, les licornes ne te mènent pas dans un monde merveilleux, mais là où ton propre corps te paraît détestable. Le monde aux miroirs. Aux flashs. Aux filtres. Aux mensonges.
Alors reste ici, Clara, reste jouer, parce que sinon, tu ne pourras pas faire face à la réalité. Nous ne sommes pas préparées à ça, alors caches-toi, roules-toi en boule sous tes couvertures, et n'essaies jamais d'en sortir. Tu es en sécurité, ne deviens pas humaine, ne commence pas à chercher l'impossible, le mal. Reste innocente, caches-toi, je t'en prie, et oublie.
Oublie que le monde est dangereux, qu'il te détruira à petit feu, que chaque mouvement finira par te faire souffrir. Oublie, oublie que les miroirs seront tes ennemis, oublie que les hommes ne verront que ton corps et ses imperfections, oublie que les femmes pointeront tes défauts, oublie que ce monstre te bouffera jusqu'à te faire avaler des dizaines de comprimés dans l'espoir d'échapper à la réalité.
Oublie que les secondes dureront des heures, oublie que j'ai souffert, et oublie que tu m'as connue, oublie que je t'ai abandonnée, oublie, je t'en pries. Oublie, et guéris.
Oublie que rien ne te sera favorable, oublie que le monde entier t'avalera et te fera regretter de l'avoir connu.
Mais par dessus tout, petite sœur, oublie moi.
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Mes écrits
PoetryTout est dans le titre. Pour des gens tagués ou juste parce que je ressens le besoin de le dire. Des poèmes, ou juste des citations, de textes. #1 de la catégorie vivelavie le 23/10/2023