Esprit es-tu là ? Jour 30

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Madame Markowitz avait l'art de la mise en scène. Sous un voile de velours pourpre, elle dominait son petit salon mal éclairé, rempli de bougies vacillantes et de boules de cristal bon marché. Autour de la table, cinq clientes régulières, des veuves avides de réconfort, buvaient chacune de ses paroles.

— Le grand esprit me parle... murmura-t-elle en posant théâtralement ses mains sur la boule de cristal. — Oh, mes chères, il dit que l'amour ne meurt jamais... que vos maris veillent sur vous !

Les femmes hochèrent la tête en silence, les yeux écarquillés de crainte et d'admiration. Cela faisait des années que Madame Markowitz menait son petit théâtre, manipulant l'émotion des autres comme on joue avec des pantins. L'argent coulait à flot, surtout lors des séances privées, où elle pouvait "communiquer" avec les proches disparus en échange de généreux billets. Une affaire parfaite.

Mais ce soir-là, quelque chose d'inhabituel se produisit. Une nouvelle cliente fit son entrée. Une femme élégante, aux cheveux argentés soigneusement coiffés, qui observait la scène avec un sourire étrange. Elle attendit patiemment que la séance se termine, puis se leva de sa chaise.

— Je suis Madame Renaud, dit-elle avec assurance. J'ai entendu dire que vos dons étaient extraordinaires.

Madame Markowitz plissa les yeux, cherchant à cerner cette inconnue. Elle n'aimait pas les surprises, et cette femme dégageait quelque chose de... différent.

— Mais bien sûr, répondit-elle en masquant son malaise sous un sourire. Que puis-je faire pour vous ?

— Oh, rien d'inhabituel, vraiment. J'aimerais simplement entrer en contact avec un esprit particulier, expliqua Madame Renaud. Et je pense que ce soir, il serait intéressant que nous évoquions... Georges.

Le sourire de Madame Markowitz se figea. Son cœur fit un bond. Georges ? Personne ne connaissait ce nom ici. Georges était son mari défunt, un homme dont elle ne parlait jamais, surtout pas à ses clientes.

— Je... je ne comprends pas, balbutia-t-elle, perdant de sa superbe.

— Vous avez très bien compris, répliqua Madame Renaud, ses yeux brillants dans la pénombre. Je suis une véritable spiritiste, Madame Markowitz. Et j'ai bien l'intention de ramener Georges ici, ce soir.

Un silence lourd tomba dans la pièce. Les autres clientes, intriguées, se redressèrent, guettant la suite de cette étrange confrontation.

— Vous plaisantez, rétorqua l'arnaqueuse, tentant de garder son calme. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne...

— Oh, mais si, intervint Madame Renaud, implacable. Je sais comment cela fonctionne, moi. Il est temps que vous payiez pour toutes vos petites supercheries.

Elle ferma les yeux et commença à murmurer des incantations incompréhensibles. Les bougies se mirent à vaciller, un courant d'air froid traversa la pièce, et la boule de cristal émit une lumière verdâtre. Madame Markowitz ouvrit la bouche pour protester, mais aucun son n'en sortit.

Puis, une voix retentit. Une voix qu'elle reconnaîtrait entre mille.

— Clarisse... c'est moi, Georges.

Le visage de Madame Markowitz se décomposa. Ses mains tremblaient alors qu'elle regardait autour d'elle, cherchant un moyen de fuir. Mais il était trop tard.

— Qu'est-ce que tu fais, Clarisse ? Pourquoi te moquer des morts ? Pourquoi voler ces pauvres femmes ? demanda la voix spectrale de son mari, résonnant dans toute la pièce.

Les autres clientes se figèrent, les yeux écarquillés, croyant assister à une véritable manifestation spirituelle. Madame Markowitz, pâle comme un linge, tentait de reprendre contenance.

— C'était pour... survivre, Georges ! C'est... juste du spectacle !
— Du spectacle ? reprit la voix du défunt, plus glaciale. Et moi ? Est-ce que je fais partie de ton spectacle ?

Des larmes commencèrent à couler sur les joues de Madame Markowitz. Ses artifices s'effondraient autour d'elle.

— Arrête... s'il te plaît, Georges... je ne voulais pas...

Mais la voix ne faiblit pas. Elle sermonna Madame Markowitz, exposant ses mensonges, ses manipulations, et la misère qu'elle infligeait à ses victimes crédules. Les autres clientes regardaient la scène, médusées. Finalement, le murmure s'évanouit, et l'atelier retomba dans un silence lourd. Madame Renaud, triomphante, se leva doucement.

— Eh bien, je crois que cette séance touche à sa fin, mesdames, dit-elle calmement. Peut-être qu'à l'avenir, vous réfléchirez à deux fois avant de payer pour des mensonges.

Puis, elle se tourna vers une Madame Markowitz brisée, la fixant droit dans les yeux avant de disparaître dans la nuit.

Faucheuse en grêve ! | Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant