CHAPITRE VIII - L'AMERTUME DES SOUVENIRS

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Adossé contre l'un des mâts du voilier, Bryne avait repris sa mélodie

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Adossé contre l'un des mâts du voilier, Bryne avait repris sa mélodie. Le gris bleuté du ciel continuait à s'assombrir. Il tenta d'improviser quelques vers qui racontaient la stupidité d'une chasseresse au justaucorps écarlate, mais il déplora leur manque de finesse. Surtout quand ils évoquaient une paire d'iris émeraude qui brillaient de colère. Quelle absence d'originalité ! Il soupira. Dix ans en arrière, elle l'avait déjà transpercé avec ce regard. Ses doigts dansèrent sur les cordes et la chanson de ses souvenirs résonna dans sa tête.

Dès leur première année, elle avait attiré l'attention de leur promotion. La rumeur s'était répandue, telle une traînée de poudre, qu'elle appartenait à la même famille que la grande Milréade. Une cour s'était assemblée autour d'elle pour lui faire subir un interrogatoire. Poliment, elle avait satisfait la plupart des curieux en confirmant ou en démentant les légendes qui circulaient. Néanmoins, elle s'empressait d'esquiver les questions trop personnelles. Quand les élèves avaient compris qu'ils n'obtiendraient rien de plus, ils s'étaient détournés d'elle. Bryne se rappela qu'à l'époque son absence de contrariété l'avait surpris. Pourtant, elle possédait tous les atouts pour se transformer en l'idole de l'académie : une famille célèbre et un joli minois. Il n'avait donc pas saisi comment une roturière avait pu laisser s'échapper une telle opportunité. Séduit par cet aspect de sa personnalité, il avait décidé qu'elle deviendrait son amie.

La mélodie de la mandoline prit un rythme plus entraînant. Il sourit de nostalgie en repensant à l'époque où il n'était que le petit-fils du duc de Sulvanie, encore épargné des pressions en tant que fils-dernier-né. Comme la santé de son grand-père déclinait, son père était déjà, certes, très impliqué dans les affaires du duché, mais cela restait officieux. Bryne n'était alors qu'un jeune noble de quatorze ans qui rêvait d'une vie d'aventures. Ses doigts improvisèrent quelques accords qui invitèrent son esprit à reprendre le fil de sa mémoire.

Il avait tenté d'aborder Yuna à plusieurs reprises. Elle ne l'avait jamais rejeté. Toujours avec ce fin sourire courtois, elle l'écoutait et répondait à ses questions, mais dès qu'il évoquait des thèmes plus personnels, elle se défilait. Vexé qu'elle le traitât comme les autres, il avait fini lui aussi par se lasser d'elle.

Les saisons s'étaient succédé et une année scolaire s'était achevée. Yuna semblait s'accoutumer de cette solitude.

Pour célébrer le solstice d'été, la reine Darina avait organisé de grandes festivités au palais de Marbéliard. Pour la première fois au royaume, on allait assister à un spectacle de feu d'artifice. Des membres des familles royales des pays frontaliers avaient été invités, ainsi que toute la fine fleur de la noblesse valêmoise. Le bal promettait de montrer la splendeur du Valême.

Bryne grimaça. Le froid devenait de plus en plus intense et endolorissait ses phalanges. La mandoline posée sur ses genoux, il souffla sur ses doigts pour les réchauffer, puis pinça de nouveau les cordes.

Ce soir-là, dans la salle de réception du palais, la chaleur s'était révélée, au contraire, suffocante. Mais Bryne ne s'en était pas soucié, car, pour son plus grand bonheur, son grand-père l'avait autorisé à y déambuler à sa guise. L'ambiance enchanteresse des lieux l'avait immédiatement imprégné. Il se souvint des robes corsetées qui ondulaient avec les mouvements des danseurs. Illuminé par un impressionnant lustre en cristal, l'éclat des amas de couleurs chatoyantes valsait au rythme d'un petit orchestre. Les douces notes de musiques flottaient dans l'air et se mêlaient aux rires des conversations animées. Grâce à l'habileté des serviteurs royaux, des plateaux d'argent chargés de coupes de Harre pétillants et de hors-d'œuvre délicats se faufilaient avec aisance entre chaque pas de menuet.

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