Confession intime

12. Au nom de la Rose

Je suis abasourdie. Je ne m'attendais pas à devoir attendre encore plus de six semaines. D'une certaine manière, cela me donne un peu de répit pour préparer ma vie d'après. On ne sort pas de tant d'année de vie recluse et protégée en un claquement de marteau.

Karen et Julia m'attendent dans la salle des pas perdus. L'avocate arbore un sourire radieux qui me réchauffe le cœur.

- Tu as été parfaite ! Je ne vois aucune raison qui pourrait empêcher l'adoption.

- Merci beaucoup Karen. Tu as été formidable aussi. Mais je pensais que nous aurions la réponse immédiatement. Adélaïde va être déçue.

- La paperasserie judiciaire est une tannée. Mais cette fois c'est bien la dernière ligne droite. C'est promis. Dès que je reçois le compte-rendu du jugement, je vous contacte, toutes les deux.

Julia se tient légèrement en retrait, avec un petit air abattu. Elle est déçue aussi. Je voudrais la remercier, et puis la prendre dans mes bras, et l'embrasser et lui dire que ça va passer vite, et que j'ai au moins autant envie de la retrouver qu'elle. Mais je reste paralysée. Karen, la foule autour de nous, l'incertitude sur le jugement. Et surtout moi, et mon avenir.

Je me vois mal débouler dans sa vie avec ma tripotée d'emmerdes, une enfant de neuf ans et aucune source de revenus pour l'assumer. Julia est pleine de rêves de nous, mais elle ne se rend pas compte de ce que signifie élever une petite fille. Finies les soirées avec les copines, les nuits blanches à refaire le monde, les week-ends improvisés. Il va falloir que nous devenions une famille. Quant à moi, je vais devoir reprendre la vie civile, me sociabiliser, remettre en place une routine. Tout cela m'effraie autant que ça m'enthousiasme. Est-ce que je vais en être capable ? Comment Adélaïde va-t-elle s'adapter à cette nouvelle vie ? Passer du couvent à une famille homo parentale, c'est le grand écart au-dessus d'une falaise à pic. Tant que je n'ai pas toutes les réponses, comment rassurer la femme qui me dévisage avec les yeux de l'amour ?

Alors je me contente de lui adresser un sourire contrit, en espérant qu'elle comprenne tout ce qui se cache derrière. Les doutes, les peurs, les espoirs.

- Je dois vous laisser, c'est l'heure de récupérer Adélaïde.

Karen me serre dans ses bras et Julia m'adresse un petit signe de la main. Je m'en vais le cœur serré.

Les semaines suivantes sont un mélange d'excitation et de stress. Le jour je jongle entre l'école, les entretiens d'embauche, quelques cours de remise à niveau et les activités d'Adélaïde. La nuit, j'imagine que je cours dans les bras de Julia, que nous vivons heureuses toutes les trois dans une maison pleine de rires et de cris d'enfant. Chaque journée est infiniment longue et beaucoup trop courte à la fois. Le doute s'infiltre parfois dans le noir de mes nuits blanches. Est-ce qu'elle réussira à rester fidèle ? Peut-être qu'elle a déjà retrouvé quelqu'un et que je me fais des films ? Peut-être que j'ai mal compris et qu'elle veut juste qu'on soit amies ? Ce serait plus simple de rester là, dans ce couvent si protecteur.

Lorsque le 02 mai arrive, je n'ai toujours pas trouvé de boulot, et le téléphone reste désespérément muet. Ça y est, c'est sur elles m'ont oubliée. Je ne vais jamais me sortir de cette situation de merde. De toute manière tout ça c'est ma faute. J'ai fait les mauvais choix et voilà, je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même.

La sonnerie du réveil est brutale le lendemain matin. Et inhabituelle. Parce que ce n'est pas le réveil, c'est le téléphone ! Évidemment, je lui fais faire un vol plané en décrochant. J'entends quand même la voix de Karen s'époumoner à l'autre bout.

- C'est bon, c'est bon tu as réussis ! Tu est officiellement la mère d'Adélaïde !!!!

- Quoi ? Pardon le téléphone est tombé. C'est quoi ? C'est bon ? Ça a marché ?