Chapitre 7 : Le monde d'Anna

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Le lendemain soir, Léo arriva au parc plus tôt que prévu.

Il l'aperçut bientôt, cette fois sans son écharpe colorée, ses cheveux bruns tombant en mèches désordonnées autour de son visage. Elle le salua d'un léger sourire, puis s'assit près de lui sur le même banc, mais avec une distance qu'elle n'avait pas eue lors de leur dernière rencontre.

Léo ne posa pas de questions tout de suite. Il attendit, sentant qu'elle avait besoin de temps pour parler.

Anna brisa le silence.

__ Je n'ai jamais vraiment parlé de tout ça. Je crois que je n'ai jamais eu le courage... Mais toi, tu sembles comprendre. Peut-être parce que toi aussi, tu cherches quelque chose.

Anna baissa les yeux, les mains jointes, comme si elle voulait trouver ses mots.

__ J'ai vécu avec mon père et ma belle-mère, il y'a un an. Ils se sont mariés après la mort de ma mère. C'était... difficile. Pas parce que je n'aime pas ma belle-mère, mais tout a changé du jour au lendemain. Je suis passé d'un petit appartement où ma mère vivait avec moi, dans une maison immense où il faut toujours bien se montrer, faire bonne figure. C'est comme s'il fallait tout effacer, tout recommencer.

Léo écoutait attentivement. Il n'avait pas imaginé que tout cela était aussi lourd pour elle.

__ Je viens ici parfois, à l'étang. C'est le seul endroit où je me sens encore proche d'elle. C'est bête, je sais, mais... chaque fois que je suis là, j'ai l'impression qu'elle est encore un peu avec moi, dans l'air, dans l'eau. J'écris pour garder un souvenir. Je n'ai pas l'impression d'avoir le droit de tout effacer. Pas tout de suite.

Léo se sentit touché par ses paroles, mais il savait qu'il lui fallait encore comprendre plus de choses. Pas seulement pour mieux saisir ses poèmes, mais pour comprendre qui elle était avant tout ce qu'elle avait traversé.

Il lui posa une question qu'il avait gardée pour ce moment-là :

__ Et tes amis ? Qu'est-ce qu'ils pensent de tout ça ?

Anna sourit, un peu amusée.

__ Mes amis ? Eh bien, ils ne savent pas tout. Ils savent que je suis différent depuis la mort de ma mère. Mais... ils ont leurs vies, et je ne veux pas les encombrer avec mes tristesses. Il ya Clara, tu vois, elle est toujours là pour moi,... mais même elle, ne comprend pas vraiment. Elle me dit toujours que je devrais aller de l'avant, que je devrais sourire plus. Elle me pousse à sortir, à rire. Je crois qu'elle a peur que je devienne trop... trop fermée, tu comprends ? Mais ça, je ne peux pas changer.

Léo hocha la tête. Il comprenait mieux maintenant. Anna était une jeune fille entourée d'amis, mais qui se sentait à part, coincée entre deux mondes : celui où tout le monde avançait, et le sien, figé dans la douleur de la perte.

Même avec Clara, sa meilleure amie, elle devait sans doute jouer un rôle, celui de la jeune fille qui va bien, qui sourit, qui continue à vivre, même si au fond elle avait l'impression de ne plus savoir comment faire.

Anna était en seconde, dans la même classe que Léo, mais elle n'avait jamais cherché à se faire remarquer. Elle n'était pas une élève bruyante ni populaire. Mais elle n'était pas non plus invisible, car sa façon d'être calme, captivait les autres.

Les professeurs la reconnaissait pour ses compétences en littérature, même si elle n'était pas très participative en classe. Elle était l'une de ces élèves dont le travail était toujours soigné, mais qui n'attirait jamais trop l'attention. Un esprit sensible, souvent plongé dans des livres, mais jamais en dehors du cadre. Elle préférait observer, écouter, plutôt que de se laisser entraîner dans les conversations banales.

Léo se souvenait d'une fois, lors d'un cours de français, où Anna avait écrit une analyse de poésie que tout le monde avait trouvée impressionnante. Mais elle n'en avait jamais parlé à personne. Quand la professeure lui avait demandé de lire son travail à haute voix, Anna avait à peine levé les yeux de sa feuille. Elle avait eu ce regard lointain, comme si elle écrivait pour elle-même et non pour les autres.

__ Tu sais, Léo, dit-elle. Ce n'est pas parce que je suis entourée de gens que je me sens moins seule. Tu comprends, non ? Ce n'est pas une question d'avoir des amis. C'est une question de... trouver un endroit où tu n'as pas à être ce que les autres veulent que tu sois.

Léo hocha lentement la tête, reconnaissant dans ses paroles quelque chose qu'il avait lui aussi ressenti. Ce besoin de silence, de paix, de retour à l'essentiel.

Le carnet perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant