Marc se leva de son bureau, les épaules voutées sous le poids de la journée. Il avait passé la majeure partie de l'après-midi dans ses dossiers, toujours plongé dans ses rapports, à essayer de faire avancer des projets qui, au fond, étaient de moins en moins importants.
Son travail était devenu un moyen d'éviter d'affronter la réalité qui, à chaque instant, le rattraper. Il était un homme à la stature imposante, mais qui, constamment porter un fardeau invisible. Ses cheveux, autrefois d'un noir de jais, étaient parsemés de mèches grises, témoins des épreuves qu'il avait traversées. Ses yeux bruns, profonds et mélancoliques, trahissaient un combat intérieur qu'il masquait derrière une façade stoïque.
Pourtant, lorsqu'il souriait , un événement rare ces derniers temps, une douceur inattendue illuminait son visage, rappelant l'homme qu'il avait été avant que la vie ne devienne si compliquée.
Le trajet du bureau jusqu'à la maison avait été long, mais ce n'était pas la circulation qui l'avait ralenti. Non, c'était la réflexion, qui s'était installé dans sa poitrine à mesure qu'il pensait à la phrase de son épouse. Envoyer Anna en pensionnat...
Cette idée, il ne pouvait pas la balayer d'un revers de la main, même s'il avait envie. Il devait y réfléchir sérieusement. Mais, cela devenait une option de plus en plus tangible.
Sandrine avait toujours été froide dans sa manière de gérer les choses. Et, au fond, Marc savait qu'elle avait raison. La situation avec Anna devenait intenable. Il l'avait vue s'isoler davantage, refusant toute tentative de réconciliation, de rapprochement. Elle le fuyait, se réfugiait dans son monde à elle, où il n'y avait plus de place pour son père ni pour sa seconde épouse. Peut-être que l'idée de l'envoyer loin, dans un environnement plus structuré, serait bénéfique. Elle aurait la chance de trouver un équilibre, d'évoluer loin des tensions qui régnaient à la maison. Mais cette pensée lui paraissait aussi cruelle qu'elle était nécessaire.
Marc s'efforça d'oublier l'idée pendant le trajet, mais ce soir-là, une fois rentré, il n'arrivait plus à faire taire ses pensées. Il se sentit temporairement épuisé, vidé. Il se dirigea vers son bureau, en silence, en prenant son temps. La pièce était sombre. Il n'alluma pas la lumière tout de suite, se contentant de la lueur qui passait par la fenêtre. C'était là, dans cet espace clos, qu'il avait toujours travaillé. Un lieu de contrôle. Puis, il remarqua d'abord la boîte en bois posée sur son bureau. Une boîte qu'il n'avait pas touchée depuis longtemps.
En l'observant de plus près, il vit qu'elle n'était pas correctement fermée. Ses doigts se resserrèrent sur le bois et il la prit doucement. Elle était lourde de souvenirs. Il y avait des années de mariage à l'intérieur, des photos, des lettres, des moments qui appartenaient à un autre temps. Ce temps qu'il avait perdu et qu'il n'avait jamais su vraiment retenir. Sans un mot, il aperçut les lettres d'Hélène, éparpillées sur le bureau.
Marc sentit une étrange chaleur monter en lui, un mélange de douleur et de nostalgie. Il se pencha sur les lettres, ses yeux s'attardant sur chaque phrase. Il se souvenait de la façon dont elle écrivait, avec cette tendresse infinie qui l'avait toujours marqué. Hélène avait été son ancre. Et même maintenant, après sa disparition, il avait l'impression qu'elle lui parlait encore à travers ces pages.
À l'époque, il avait été bouleversé par ce qu'elle lui avait écrit, ces messages d'amour et de soutien. Il avait mis ces lettres de côté, les avait oubliées, comme s'il avait eu peur de leur pouvoir, de ce qu'elles lui renvoyaient. Depuis que sa feu femme, avait été observée d'un cancer du sein quelques années plus tôt, leur quotidien avait basculé. Les premiers mois avaient été terrifiants, une succession de traitements, d'hospitalisations et de nuits blanches à craindre le pire. Heureusement, après des soins intensifs et une prise en charge rigoureuse, Hélène avait été déclarée en rémission. Elle vivait maintenant une vie normale, mais cette épreuve avait laissé des traces indélébiles sur leur famille.
Et elle avait pris l'habitude de tenir un journal pendant sa convalescence, une manière de poser ses pensées, de lutter contre l'angoisse. Pendant les longues heures passées à l'hôpital, elle écrivait aussi des lettres à Marc.
Un soir, alors que la lumière blafarde de l'hôpital éclairait sa chambre, Hélène avait écrit :
« Marc, Mon amour
La maladie m'a appris que chaque instant est précieux, et que parfois, on oublie de le dire à ceux qu'on aime. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais ce que je sais, c'est que tu as été ma force quand je n'avais plus la mienne. Merci pour ça. Je veux que tu saches que même si je ne suis pas toujours la femme la plus démonstrative, je t'aime. Mais Marc, il y a une chose. que je dois te demander : prends soin d'Anna. Pas seulement en étant son père, mais en imposant de la comprendre. Elle te ressemble plus que tu ne le crois. »Marc ferma les yeux, le cœur serré, le regard fuyant. Hélène l'avait toujours compris, toujours su comment apaiser ses tourments. Elle avait raison, bien sûr. Anna n'avait pas besoin d'être envoyé loin, loin d'eux. Ce n'était pas ça qu'elle voulait. Elle avait besoin de son père, de lui. Il n'avait jamais arrêté de l'aimer, mais il s'était laissé engloutir par sa propre douleur, par la souffrance de la perte.
Il avait failli. Il n'avait pas su comprendre sa fille, pas su comment être là pour elle.
Il se leva brusquement, les mains tremblantes, les yeux pleins de larmes qu'il n'avait pas osé verser depuis longtemps. Il savait ce qu'il avait à faire. Il savait que, si Hélène avait été là, elle l'aurait encouragé à être plus présent, à ne pas fuir. Il avait pris une décision, une décision qu'il n'avait jamais envisagée auparavant.
Il se dirigea vers la porte de la chambre d'Anna. Il n'avait pas beaucoup d'idées sur la façon de réparer les choses, mais, il devait commencer par être là. Il frappa doucement à la porte.
__ Anna, c'est papa... J'ai quelque chose à te dire.
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Le carnet perdu
Teen FictionLéo est un adolescent comme les autres, mais derrière ses blagues et son masque de clown se cache un cœur lourd de blessures. Mais tout bascule lorsqu'il tombe sur un carnet perdu, rempli de poèmes simples et beaux, qui réveillent en lui des émotion...