Chapitre 5 : Anna, l'âme derrière les mots

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Léo ne pouvait pas s'empêcher de penser à Anna tout le week-end. Ses réponses, cette étrange manière d'écrire, comme si elle voyait les choses à travers les poèmes. Elle était un mystère qu'il voulait comprendre, tout autant que ses poèmes. Mais par où commencer ?

Elle avait laissé si peu d'indices, à part son prénom et l'histoire du carnet.

Le lundi suivant, à la sortie des cours, il prit une décision. Il devait la revoir. Il retourna à la librairie Équinoxe, pensant que c'était un bon point de départ. Lorsqu'il entra dans la librairie, l'odeur familière du papier utilisé et de l'encre y flottait. La libraire leva les yeux de son livre et sourit en le reconnaissant.

__ Ah, toi. Alors, des nouvelles de ton carnet magique ? demanda-t-elle en souriant, curieuse.

Léo hocha la tête, un peu nerveux.

__ Je pense avoir trouvé l'auteur. Une fille... Anna. Vous la connaissez ?

La libraire plissa les yeux comme si elle réfléchissait.

__ Anna... Oui, je vois qui c'est. Elle venait souvent ici, mais ça fait des mois qu'elle ne passe plus. Elle aimait beaucoup les recueils de poésie contemporaine. Très calme, un peu dans son monde. Pourquoi tu la cherches ?

Léo hésita un instant.

__ Je crois qu'il y a encore des choses que je ne comprends pas à propos d'elle. Et ses poèmes. Ils sont si... personnels, mais ils semblent aussi parler à tout le monde.

__ Alors, tu devrais essayer de mieux comprendre son histoire.

Léo repartit avec cette réflexion en tête. Il retourna plusieurs fois à l'étang et au parc, scrutant les allées à la recherche de la silhouette familiale d'Anna. Un jour, alors qu'il marchait près de l'étang, une vieille dame promenant son chien s'arrêta près de lui, le nom l'interpella.

__ Anna, tu dis ? Oh oui, je la connais un peu. Elle habitait dans l'immeuble juste là-bas, celui avec les volets verts. Mais je crois qu'elle a bougé il y'a quelques mois. Une gentille fille, un peu perdue parfois. Elle écrivait toujours dans son carnet, tu sais ?

Léo la remercia vivement et se dirigea immédiatement vers l'immeuble. Il ne s'attendait pas à la retrouver là, mais peut-être qu'un voisin pourrait lui en dire plus. Après plusieurs tentatives infructueuses, un vieil homme ouvrit la porte. Il portait des lunettes rondes et une chemise démodée.

__ Anna ? Ah oui, cette petite. Une artiste, il me semble. Elle peignait parfois, en plus d'écrire. Mais je sais qu'elle a quitté l'appartement après une période difficile. Elle a perdu un parent, si je ne me trompe pas. Ça l'a beaucoup affecté.

L'adolescent sentit un frisson parcourir son dos en entendant ces mots. Anna n'était pas simplement une poétesse. Elle portait des blessures invisibles, des douleurs profondes qu'elle avait canalisées dans ses poèmes. Mais malgré tout, elle avait choisi de partager ces mots avec le monde, comme pour laisser une trace, une petite lumière dans l'obscurité.

Cette pensée marqua Léo. Il la respectait de plus en plus. Mais il était toujours réticent à aller plus loin dans ses recherches sans son accord. Il voulait en savoir plus, mais il devait lui laisser le temps et l'espace.

Ce fut finalement elle qui fit le premier pas. Un soir, alors qu'il était de nouveau assis sur le banc près de l'étang, perdu dans ses pensées, Anna apparut. Cette fois, elle était plus détendue, moins sur la défensive. Elle portait un sac en bandoulière, et son écharpe colorée flottaient derrière elle dans le vent doux du soir.

Lorsqu'elle aperçut Léo, elle marqua un léger temps d'arrêt, puis s'approcha, comme si elle hésitait encore.

__ Tu es encore là, dit-elle d'une voix basse.

Léo se leva un peu précipitament, sans savoir vraiment comment agir avec elle.

__ Je voulais te revoir. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas encore.

Anna le considéra un instant, puis s'assit à côté de lui, sans dire un mot. Le silence entre eux était lourd, mais Léo ne voulait pas le briser trop vite. Il attendait, patiemment, tout en observant le mouvement des feuilles mortes qui tourbillonnaient autour du banc, emportées par le vent. Anna regardait l'étang, les yeux perdus dans l'obscurité de l'eau.

Finalement, après un long moment, elle murmura presque pour elle-même.

__ C'est étrange... tout ça. Puis, se tourna vers lui et ajouta : Ce carnet, je n'avais pas pensé que quelqu'un le prendrait.

Léo se sentit un peu plus proche d'elle.

__ Je n'ai pas pu le laisser là. Tes mots, ils m'ont touché. Oui, ils m'ont touché.

Anna détourna le regard, ses doigts frôlant nerveusement le bord de son sac.

__ C'est pas simple, tu sais. Ce carnet, ce n'était pas juste des poèmes pour moi. C'était tout.

Sa voix trembla, mais elle se reprit aussitôt.

__ C'est un peu comme une partie de moi que j'ai... laissée derrière.

Elle marqua une pause avant de reprendre, comme si chaque mot devait être soigneusement pesé.

__ J'avais l'impression que mes pensées ne me servaient plus, qu'elles m'enfermaient. Alors je les ai écrits.

Léo l'écouta attentivement et devina qu'elle avait du mal à se livrer, qu'elle se retenait, mais il persévérait, comme pour lui donner une chance de parler.

__ Mais Pourquoi ne pas le garder pour toi ? ? interrogea-t-il doucement.

Anna se mordit la lèvre et soupira profondément, un léger frisson parcourant son corps. Elle se tourna vers lui, le regard toujours fuyant, mais ses yeux cherchant pourtant à le comprendre, comme si elle se demandait s'il méritait vraiment de connaître la vérité.

__ Parce que... je ne voulais plus qu'il soit à moi. Elle s'arrêta. Je pensais qu'en le laissant là, quelqu'un d'autre pourrait... peut-être comprendre, et trouver quelque chose que moi, je ne pouvais plus trouver.

Un silence s'installa, plus lourd cette fois, alors qu'Anna se perdait dans ses pensées. Léo ne savait pas s'il devait insister davantage, mais il ressentait qu'il fallait lui laisser le temps de s'ouvrir.

Elle ferma les yeux un instant, comme pour se donner du courage.

__ Je... j'ai perdu quelqu'un, tu sais. Ça m'a brisé, ça m'a fait me sentir comme si plus rien n'avait de sens.

Ses mots étaient choisis avec soin, mais ils portaient une grande intensité.

__ J'écrivais pour essayer de garder une part de cette personne. Mais... je suis partie de cet endroit, de tout ça. J'ai dû partir, même si ça m'a tuée.

Léo, plus que jamais, ressentit une profonde empathie pour elle. Il pouvait sentir toute la douleur qu'elle avait traversée dans chaque mot. Il posa doucement une main sur le banc, comme pour signaler qu'il était là, mais sans forcer.

__ Et maintenant ? demanda-t-il d'une voix calme, désirant de comprendre ce qu'elle ressentait, au-delà de la douleur. Qu'est-ce que tu veux faire de tout ça ?

__ Je ne sais pas... Mais maintenant, peut-être que c'est à quelqu'un d'autre de continuer l'histoire.

Elle sourit, mais d'un sourire presque triste.

__ C'est ça, écrire. Laisser des morceaux de soi pour que d'autres les trouvent et les assemblent à leur manière.

Léo la regarda, ému.

__ Tes mots m'ont aidé, Anna. Ils m'ont donné la force de chercher à comprendre, de trouver une manière d'exprimer ce que je sens, moi aussi.

Un long silence s'installa entre eux, plus confortable que les précédents.

Anna se leva lentement, son écharpe flottant derrière elle dans l'air frais de la nuit.

__ Il est temps pour moi de partir, mais je suis contente de t'avoir parlé.

Elle lui adressa un sourire timide avant de s'éloigner.

Le carnet perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant