CHAPITRE IX

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LES MOLLUSQUES NE SONT PAS NOS AMIS

Treize. C'est le nombre exact de fissures qui sillonnent mon plafond. Un chiffre imparfait, chargé de superstitions qui résume à merveille l'état actuel de ma vie. Sur le papier, j'ai tout ce qu'il faut pour être heureuse : la santé, des proches aimants, un toit solide au-dessus de ma tête, de l'eau potable, un réfrigérateur rempli, et un emploi stable. Que demander de plus ? Rien, en théorie. Mais en pratique ? Me voilà allongée sur mon lit depuis plus d'une heure à scruter ces foutues fissures en ruminant sur ma vie. Serait-ce l'inévitable crise de la trentaine qui approche à grands pas ? Ce tournant inévitable où l'on remet tout en question ? Car y réfléchissant, je me demande qu'ai-je vraiment accompli jusqu'ici ? Oui j'ai décroché un diplôme, mais après ? J'ai mis des années à me chercher, hésitant entre mille chemins, jusqu'à ce qu'enfin, je trouve une voie. Alors pourquoi cette désagréable sensation de doute m'assaille-t-elle aujourd'hui ?

Et puis, il y a cette histoire de journal qui me hante. Mon prénom, mon adresse, et toutes mes informations personnelles trônent fièrement sur la première page. Parce que oui, je fais partie de ces gens qui remplissent scrupuleusement la section « si trouvé, merci de retourner à », même pour un carnet de gratitude qui, soyons honnêtes, n'aurait jamais dû quitter les quatre murs de mon appartement. Quoi qu'il en soit, le mal est fait, et maintenant, mes pensées les plus intimes se baladent dans la nature. Peut-être sous les yeux d'un parfait inconnu... Ce dont je doute, en réalité. La seule consolation dans ce désastre, c'est que je n'ai aucune ambition de célébrité. Pas de projet de carrière hollywoodienne donc pas de risque de me retrouver dans un magazine à scandales. Est-ce vraiment suffisant pour me rassurer ? Ça, c'est une autre histoire.

***

Puisque j'ai économisé cinq mille euros, oui, c'est ainsi que j'ai décidé de voir les choses, j'ai cédé à une petite folie hier soir. Une paire d'escarpins d'une hauteur vertigineuse qui me donnent l'impression de pouvoir conquérir le monde d'un simple claquement de talon. Douze centimètres de pure élégance qui font de moi l'archétype de la parfaite Parisienne accompli ce matin alors que j'arrive devant le siège. Non seulement ces escarpins ont redonné un coup de boost à ma confiance, mais ils me font sentir invincible. Certes, je ne peux pas me permettre de démissionner en réalité ou de faire la fine bouche sur mon emploi, mais une chose est sûre : je ne laisserai pas De Luca me marcher dessus et me traiter comme un simple pion sur son échiquier.

C'est donc avec cet état d'esprit que je frappe trois coups secs à la porte de son bureau.

— Entrez.

Et c'est reparti!

— Bonjour, Monsieur De Luca, je lance avec un ton froid et professionnel.

— Mademoiselle Sorrentino, me salue-t-il sobrement.

Je m'attends à un commentaire acéré ou une remarque sournoise, mais rien ne vient. Il se contente de me désigner un siège. En m'asseyant, mon regard est immédiatement attiré par les appareils sur son bureau. Le matériel que je pensais naïvement avoir endommagé de façon irréversible hier. Je serre si fort les dents que je les entends grincer. Je ne suis qu'une...

— L'équipe informatique a remis vos appareils en état, explique-t-il d'un ton neutre. Malheureusement, les quelques données sur le MacBook n'ont pas pu être récupérées. Tout a été configuré à neuf pour vous.

Oh... Qui aurait cru qu'un simple verre d'eau pouvait causer de tels dégâts ?
De Luca fait lentement glisser un carnet flambant neuf vers moi avec son index et son majeur, comme s'il s'agissait d'une offrande.

SUR UN FILOù les histoires vivent. Découvrez maintenant