Chapitre 6

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Natsu Dragneel



Une salle s'ouvrit devant mes yeux. Elle n'était ni grande, ni petite et son plafond n'était ni très haut mais ni suffisamment bas pour avoir besoin de se courber lorsqu'on tentait d'y pénétrer. Ses murs étaient entièrement recouverts d'étagères, d'étagères remplies de livres dont la couverture semblait s'effacer, se déchirer et se transformer en une poussière fine et translucide, témoignant du temps qui commençait à devenir de plus en plus lourd, au fur et à mesure que les jours passaient. Le sol de cette pièce qui portait si fièrement le nom de ''bibliothèque'' était fait en pierre, en une sorte de pierre ancienne qui comportait des dessins étranges et intrigants, alors que son plafond poussiéreux, couvert de poussière et d'araignées, de fines crevasses qui le traversait, semblables à des cicatrices venant barrer le visage d'un quelconque personnage inconnu. Mystère. Tout était mystère et énigme, à l'intérieur de cette pièce. Je fis un pas en avant, osant enfin, après quelques secondes passées à rester, émerveillé, intrigué ou effrayé sur le pas de la grande et ferme porte en bois. Je contemplais de nouveau les étagères craquant sous le poids lourd de tous ces bouquins entassés et me demandais combien de temps, combien de jours, de semaines ou des mois ont du passer mes ancêtres ici, à entreposer chacun de ces livres, à chercher une solution à l'énigme, à lire sous la lumière d'une flamme mourante. En passant un doigt sur leurs épaisses couvertures, je lus rapidement leurs titres, hésitant, ne sachant quoi prendre.  


 Lequel choisir ? Par quoi commencer ? Et si tout ceci était futile ? Et si je ne trouverais pas de réponse et que je serais obligé de revivre la même histoire, encore une fois, avec cette Lisanna ? Que faire ? Je devais trouver ! Trouver un moyen, un autre moyen que celui-ci.


Je soufflais.

Choisissant enfin un petit livre, un livre à la fine couverture bleue, j'allais m'assoir à une unique chaise en bois, située sous une table qui sentait la moisissure et sur laquelle une petite bougie repoussait l'obscurité avec ses flammes tremblantes. Me penchant en avant, posant ma petite trouvaille sur le bureau, je l'inspectais, enlevais avec une griffe la poussière pour mieux regarder l'image qu'elle représentait. Je plissais les yeux, frottais encore une fois, concentré et sentant la curiosité s'ancrer dans mon esprit, la curiosité mais aussi que l'espoir, ce vain et tendre espoir qui nous n'hésite pas à nous planter sa lame dans la poitrine lorsqu'on se retrouve vulnérable et désarmé. Je frottais de nouveau, et retins mon souffle, pressais mes lèvres l'une contre l'autre.

Puis je m'écartais.
Le lâchais.

Incrédule, je levais instinctivement les yeux au plafond, les posais sur les étagères, sur les images gravées sur le sol avant de revenir. Avant de revenir sur mon petit livre, de le prendre de nouveau entre mes griffes et de l'ouvrir, de lire le premier mot, la première phrase, le premier paragraphe. En nageant toujours dans l'incrédulité.

Ce livre...ce livre était un exemplaire de celui que j'avais laissé dans la chambre de Lissana. J'ignorais qu'on en avait fait une copie, de ce conte déclaré interdit à la cour de plusieurs pays. De cette histoire que mes ancêtres avaient écrite, pour expliquer, pour nous aider à comprendre ce qu'il s'était passé, comment cette malédiction qui ne touchait qu'une poignée de familles nobles a-t-elle pu avoir lieu.

Je me sentis sourire.

Me sentis retomber en enfance, rajeunir de dix ans, me revis mettre le pied ici pour la première fois et ouvrir ce livre. Ouvrir ce livre et rester émerveillé, époustouflé, sidéré à l'idée d'avoir enfin une explication réelle. Après tout, toute mon enfance, pendant dix années on n'avait pas cessé de me raconter toutes sortes d'histoires, toutes sortes d'explications sordides. Toutes sortes d'explications étranges et incompréhensibles étaient apparues pour que je comprenne pourquoi j'avais une apparence aussi différente des autres petits garçons.

Je passais une griffe sur les mots, ressentant de nouveau cet émerveillement.

Lentement, doucement, je m'assis plus confortablement sur la petite chaise en bois, ignorant ses craquements semblables à des longues plaintes insensées. Puis, toujours avec cette lenteur prudente, je posais mes yeux sur les lettres, belles, rondes et grandes qui étaient gravées sur le vieux papier. En prenant mon souffle et en le retenant instinctivement dans ma gorge, je commençais à lire un paragraphe au hasard, avec cette même excitation d'enfant :

« Mais ce rêve idyllique ne pouvait durer plus longtemps; un jour, par un matin ensoleillé, par un beau dimanche d'hiver, un de ces hivers froids, hostiles mais magnifiques, où la glace s'étaient collée contre les vitres des maisons en formant des étranges motifs, où les enfants aux joues rougies par le froid jouaient tous ensemble en répandant leurs rires aigus un peu partout autour d'eux, où les mères au regard préoccupé marchaient tranquillement, allaient faire leurs courses alors que leurs maris paresseux se levaient de leurs lits moelleux, confortables pour entamer une nouvelle journée peuplée de sérénité, de calme, d'une paix aussi grande que ce ciel azur qui s'étendait sous leurs yeux reposés, un groupe de voyageurs stupides arriva à la périphérie de ce village.

Ce petit groupe seulement constitué de cinq personnes, cinq amis issus de cinq familles différentes entrèrent dans le petit village. Un sourire narquois peint sur leurs lèvres, ils se mirent à fanfaronner dans leurs beaux vêtements sur leurs chevaux, se mirent à sortir leurs trophées de chasse et à regarder autour d'eux, cherchant des personnes à impressionner.

En effet, ils n'étaient pas au courant de l'apparence si particulière des villageois qui habitaient ce petit village, et donc, par conséquent, ils ne s'attendirent pas à trouver des monstres peuplant les rues.

Des grands ou petits dragons qui avaient une certaine ressemblance avec cet être vantard qu'est l'homme s'approchèrent de ces pauvres voyageurs surpris, marchant avec leurs deux pattes arrière et les regardant avec leurs yeux étranges, verts tels les nombreux pins qui bordaient le village. Ils se mirent à sourire avec leur énorme bouche dans laquelle des crocs gigantesques étaient aperçus, heureux de voir des nouvelles personnes arriver dans leur petit monde. Ils ouvrirent leurs grands bras rongés par des écailles, déplièrent les ailes qui pendaient dans leurs dos, s'écrièrent avec leurs voix grave et suave :

-Bienvenue !

Aussitôt, revenus de leurs chocs, de la surprise et de la frayeur qui les avaient transformés en statue, les voyageurs se redressèrent et serrèrent leurs doigts. Affichèrent un visage hautain. Se gonflèrent leur poitrine afin de mieux afficher leur supériorité.

Puis, pire qu'un ignorant paysan, celui qui se tenait à la tête du groupe déclara :

-Regardez-moi ça ! Regardez ces monstres qui osent s'approcher de nous, fiers nobles servant la cour du roi de Magnolia !
-Regardez à quel point ils sont laids, avec leurs pattes griffues et leurs énormes nez !, s'écria un deuxième en faisant une tête dégoutée.

Leur troisième, quatrième et cinquième ami ne manquèrent pas d'ajouter :

-Ah ! On devrait les tuer et prendre leur peau !
-Je suis d'accord avec toi. On les délivrera de l'enfer qu'ils doivent vivre tous les jours, les pauvres, avec leurs apparences.
-Tout à fait d'accord ! De plus, ils doivent valoir tellement cher !

En entendant cela, le clan resta stupéfait.

Les dragons se regardèrent, incrédules, leur bouche grande ouverte et leurs yeux écarquillés. Ils se regardèrent pendant des minutes sans rien dire, puis, enfin, alors que le temps commençait à peser de plus en plus lourd sur leurs poitrines effrayées, un tremblement secoua la terre.

Un grand et vieux dragon s'approcha. »


Des pas se firent entendre, me surprenant et m'obligeant de lever mes yeux de ma lecture.

Légèrement ennuyé à l'idée de recevoir une visite maintenant, je sentis mes muscles se contracter alors que je tournais rapidement le dos à la porte. Je n'étais pas d'humeur à faire la conversation, à devoir songer à quels mots employer ou à éviter les regards de mon interlocuteur. De toute façon, les humains étaient des êtres complexes, irrationnels. Ils ne maitrisaient pas leurs mouvements, ne se rendaient compte de ce qu'ils disaient, ni des sentiments qu'ils éprouvaient. Ils n'étaient jamais honnêtes, jamais sérieux. Ils causaient leur propre perte sans même le savoir, avec leurs guerres et leurs massacres, leur méchanceté qui ne valait rien.

C'était pour cela que je voulais être seul. Je ne voulais que la solitude. Je ne souhaitais que la solitude.

Alors pourquoi a-t-il fallu que je sente la main ferme de celui qui devait être sans doute Gray se poser sur mon épaule ?

-Alors c'est ici que tu étais ! Tu sais que je t'ai cherché partout ?

Je le repoussais d'un seul geste, agacé.

-Gray, je ne suis pas d'humeur à parler. Ni à voir qui que ce soit en ce moment.
-Pourtant, mon vieux, si tu veux que cette malédiction disparaisse, il faudra que tu remontes là-haut et que tu parles avec elle. Que tu la charme.

Je me levais, brusquement. Sans doute un peu trop brusquement, puisque ma chaise alla s'écraser contre le sol dans un bruit sourd. Levant les yeux sur l'homme qui se tenait devant moi, habillé simplement et se promenant toujours avec ses cheveux aussi ébouriffés que les miens, je revis tout le temps, toutes ces années passées en sa compagnie, ces rires et ces disputes, ces discussions calmes ou animées, ces moments de détresse, mais aussi de joie, d'espoir, de rire me revinrent en tête. Je revis tout cela, revis tout cela et je m'efforçais de sourire, m'efforçais de lui sourire afin de me calmer, de nous calmer, moi et ce feu qui était monté en moi et qui commençait à brûler mon esprit, mes idées claires, mon humanité toute entière, sans doute, animé par une colère que je n'arrivais pas encore à comprendre, par la peur, par le désespoir mais aussi par l'espoir, encore cet espoir stupide que j'aimerais effacer mais sans lequel je n'étais rien, et par une tristesse qui m'habitait depuis tant d'années déjà.

Je me forçais à lui sourire, de plisser mes lèvres et de les forcer de se courber, de cacher un tant soit peu mes canines pointues. Puis je fronçais les sourcils lorsque je vis ses yeux sombres se lever sur le plafond.

Il soupira.

-Ce n'est pas en me faisant cette espèce de grimace que tu vas la faire fondre, Natsu. Je te l'ai déjà dit ; travaille ton sourire. Et ce n'est sûrement pas en restant enfermé dans cette vieille bibliothèque poussiéreuse que tu y arriveras non plus, marmonna-t-il.

Je baissais la tête.

Regardais mes mains rongées par des écailles ambrées, mes griffes acérée qui pouvaient tout percer et je sentis mon cœur se serrer, se serrer encore et encore et ralentir sa course sans but, la ralentir juste un peu mais assez pour qu'il se demande pourquoi cette malédiction existait.

Hélas, à cette question, je n'avais pas encore trouvé la réponse.

Et je doutais le faire un jour, même si je passais toutes mes journées assis dans cette petite cave remplie jusqu'au plafond de livres, à lire jusqu'à ce que mes yeux se ferment tous seuls de fatigue ou que même mes flammes ne sauraient réanimer ma petite bougie.

J'ouvris la bouche, passais ma langue sur mes dents acérées avant de réfléchir, de dire :

-Gray, même si je passais toutes mes journées à lui sourire et à rester devant elle, elle ne m'aimera pas. Elle ne m'aimera jamais. Peu importe ce que je fais, ça se passe toujours comme ça ; je tombe amoureux, mais pas elles. Jamais elles. Parce qu'elles, ces princesses, ces filles de roi qui sont tant vénérée pour leur beauté et leur intelligence sont les êtres les plus stupides et laids qui puissent exister sur cette terre. Et elle, cette nouvelle, cette Lisanna, elle est comme les autres ; ce n'est qu'une petite princesse qui me brisera le cœur encore une fois.

Embrasse-moi princesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant