Chapitre 15

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Je me souviens.

Je me souviens, je revois, surgissant dans un éclair brusque et confus, des images que j'avais glissé et caché quelque part dans ma mémoire, des mots, des couleurs, des sentiments que j'avais enfermé dans une chambre forte, enfermé à clé afin comme si j'avais peur de les revoir ou peur de les perdre, peur qu'un être malveillant n'arrive à me les dérober. Je suis terrifiée par la puissance des souvenirs qui resurgissent et je souhaite les arrêter, arrêter leur fuite, arrêter leur apparition, les suppliants d'arrêter et pourtant, pourtant, je fais un bond en arrière. Je rajeunis de dix ans et je regarde autour de moi, encore surprise, encore perturbée, encore effrayée, terrorisée par les paroles de cette vieille femme, par son insistance sur mon faux nom et par Natsu, dont le regard me brûle et me martyrise, par les images qui se dessinent devant moi, et par cette dame, cette dame aux habits élégants, dont les cheveux dorés prennent un aspect irréel dans le clair de lune.

Je la voix me sourire.

Me tendre la main, me tendre une clé dorée sertie de saphirs et de rubis et porter un doigt pale à ses minces lèvres.

Un murmure.

Un murmure que le vent lui enlève, des mots prononcés qui se perdent dans les airs et son visage, son visage qui s'étire et s'éclaire, toujours avec la même grâce presque absurde et ses cheveux qui s'étirent en des longs fils argentés, elle se lève, pose une main sur ma tête et virevolte, se retourne.
Sa silhouette s'éloigne, son ombre disparaît, engloutie par une nature déchaînée.

Je me souviens.

Je me souviens de la clé, je me souviens de sa lourdeur dans ma main, lorsque une semaine plus tard, sept jours exactement, pas un jour de plus ni de moins, on me déclara la mort de mes parents. Je me souviens de la lueur qu'elle projetait dans ma chambre et de la frayeur qu'elle m'inspirait, la douleur, la tristesse, la solitude qui l'accompagnaient et formaient les mailles de sa chaîne cuivrée. Mes pleurs, mon refus d'y croire, ma colère, une colère si profonde et si noire qu'elle me dévorait, petit à petit, elle me dévorait, m'engloutissait, ne faisait de moi qu'une seule bouchée. Je me suis mise à rejeter la faute sur les servants, sur les amis de mes créateurs, sur le roi qui n'avait pas su les protéger suffisamment et qui avait donné à ma mère une mission suicide. J'en voulais, j'en voulais au monde entier, j'en voulais aux enfants qui jouaient d'être aussi heureux, j'en voulais aux princesses qui se pavanaient d'être aussi insouciantes mais surtout, surtout je leur en voulais, à eux, à mes parents, de m'avoir abandonnée.

Je n'étais qu'un enfant, après tout.

J'avais huit ans.

Mon père était un bourgeois qui était tombé follement amoureux de Layla Heartfilia, une courtisane, une amie proche du roi. Layla Heartfilia, celle dont le nom était sur toutes les lèvres, celle qui était tristement célèbre auprès de nombreuses contrées, surtout à cause des histoires qui circulaient autour d'elle, des rumeurs qu'elle entrainait sur son passage et qui s'enchainaient à ses beaux habits. Elle était une sorcière, disait-on. Elle était une fée, répliquait-on. Elle était une enchanteresse, une enjôleuse, une déesse de la mort, jonglant avec le monde des vivants et des esprits.

Je n'ai jamais vraiment connu sa réelle nature.

Sa ''magie'' n'était à mes yeux qu'une rumeur qu'on lui avait attribué durant toute sa vie, une rumeur qui la suivait où qu'elle aille, une rumeur qu'on voyait danser dans les prunelles des villageois, des courtisans, de tous ces ''nobles'' à la vie ridiculement facile.

Embrasse-moi princesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant