Chapitre 11

10.2K 644 60
                                    

            Je ne respirais plus.

Assise sur le dos d'un cheval brun, un cheval filant à toute allure vers l'inconnu, je m'accrochais, le serrais contre moi et tressaillais, tremblais à chaque fois que je sentais ses muscles se tendre et qu'il sautait ou évitait, par un saut périlleux, un obstacle. Mes membres froids et gelés par tout le vent, engourdis à cause de la tempête qui se dressait devant nous, ils étaient lassés et cet esprit vagabond qui hante et qui se venge ne cessait de me dévorer par ses murmures empoisonnés, par ces « tu n'aurais pas dû venir, idiote». Ce vent chaotique dont le souffle, d'une robustesse terrible, ne cessait d'apporter devant mon visage baissé et mes paupières fermées des centaines et centaines de petits flocons de neige, tombés, charmés ou dérobés du ciel. Ce même vent qui s'affolait et s'accumulait devant mon visage, s'infiltrait malgré moi dans ma bouche ou dans mon nez, me faisant grimacer et frissonner, m'empêchant de respirer.

Notre course terrible dura une éternité.

Quelques fois, lorsque je trouvais assez de courage dans mon esprit dévasté pour ouvrir et lever les yeux, je voyais devant moi Natsu, ou plutôt son dos, sa cape que le vent semblait vouloir voler, chevauchant son cheval tranquillement, la tête haute, l'air habitué et tout à fait à l'aise, le froid le dérangeant le moins du monde, tellement calme et posé. Et moi, éberluée, je le fixais, silencieuse, observant son dos, quelque part admirative devant sa présence imposante et ces airs qu'il donnait, me demandant comment faisait-il pour voir et pour se diriger dans cette profonde noirceur, cette impression qu'il donnait de tout savoir, de tout pouvoir faire me subjuguant.

Une rafale s'abattit de nouveau sur moi.

Mon visage se crispant immédiatement, mes membres se tendant et mes dents se serrant, je m'accrochais, m'accrochais et m'accrochais, soufflais deux fois en fermant les yeux, me dis de tenir bon, de ne pas lâcher, de ne pas tomber, réussissant ainsi à trouver assez de force pour faire partir un soupçon de regret, faire partir toutes ces pensées négatives et dangereuses, tous ces « venir n'en valait pas la peine» ou ces « il n'est qu'un monstre, de toute façon», toutes ces réflexions indignes et haineuses, honteuses aussi, pour cette part de vérité qu'elles contenaient en elles et que je refusais de voir.

Notre course dura une éternité.

Elle dura un moment si long, ou si court, tout dépendant du point de vue et puisque le temps était une notion inexistante dans la nature, une piètre invention de l'homme qui avait su nous donner des laisses et de menottes, faire de nous ses humbles esclaves. Cette course dangereuse et même mortelle dura encore et encore, le duo que formaient l'ennui et la peur ne faisant que rallonger cette impression de lenteur, tandis que mon cheval infatigable ne cessait de courir, de répéter les mêmes mouvements, de galoper en bravant le vent, en bravant le froid et la tempête.

Ce cheval qui allait vers l'inconnu.

Mes pensées qui ne semblaient vouloir cesser de se répéter.

La cape volante de Natsu, les hennissements de nos deux chevaux et nos souffles brusques et téméraires que le vent dérobait, que le vent nous arrachait avec toute sa force et sa vigueur, ce temps irréel qui nous obsédait, nous malmenait.

Puis, enfin, nous nous arrêtâmes.

Dans l'ombre d'une forêt, devant une toute petite cabane rongée par les années, l'homme que je ne considérais plus vraiment comme une bête, descendit, sauta du haut de son cheval et atterrit dans la neige. Se tourna presque aussitôt vers moi, l'air ravi de me voir toujours en vie et, tout sourire, s'approchant à grandes enjambées de moi, m'aida à quitter la selle de mon cheval en me prenant la main, en serrant ma main, ses doigts si longs et si grands couvrant facilement les miens.

Embrasse-moi princesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant