[Réécriture TOME 1] L'Enfant d'Asgard

Chapitre 56 : Victimes, juges et bourreaux

Skadi essuyait la lame de sa dague dans la fourrure blanche de sa tunique. Elle aurait préféré qu'il se fût agit de Njörd. Son premier mari avait été une brute infâme et il n'aurait pas mérité davantage que de gésir ainsi, anonyme, sa mortalité exposée aux yeux de tous, dévorée par des êtres qui ne la distinguerait pas d'une autre carcasse. Qu'il savoure ce répit. Son tour viendrait.

Le cheval de Vidar s'était enfuit et nul doute que son retour alerterait bien plus rapidement que la découverte du corps exsangue de son cavalier. Skadi s'enfonça dans la Forêt de Fer sans accorder la moindre place aux regrets. Vidar en aurait-il eu à sa place ? En avait-il jamais eu pour qui que ce soit ? Non, les Asgardiens ne méritaient ni la compassion, ni le moindre espace dans ses pensées. Pourtant, Skadi tremblait. Elle tremblait, en dépit de toute la hargne qu'elle chargeait dans son poing. Son corps sec palpitait, habité par la pulsation affolée d'un organe longtemps réduit au silence. Il écrasait ses poumons contre ses côtes. Le souffle rompu, le ventre martyrisé par le poids d'émotions entassées comme autant de pierres au fond d'un lac, Skadi s'obligea à une pause. Le temps de se gorger de l'agréable fraîcheur de l'air et de son odeur de mousse humide. Un cri bloqué dans la gorge, qui devrait patienter encore. Elle enragea en sentant des larmes chaudes sur ses joues et les chassa avec dégoût. Pourquoi son corps la trahissait-il si lâchement ? Si proche ? Elle serait plus entêtée que lui. Plus tenace. Aussi, reprit-elle sa route jusqu'à la cabane de Tanagra.

Après un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, Skadi en poussa la porte prestement. Tanagra et Torunn étaient assises à table, les mains pressées autour d'un bol de tisane. L'inquiétude, sur les traits de l'Elfe, se dissipa un bref instant, seulement le temps d'être remplacée par une autre. Gênée par la rondeur de son ventre, elle se leva tout de même.

« Skadi, Skadi... Tu es... Skadi, que s'est-il passé ? demanda-t-elle en enveloppant ses épaules d'une étole. Ce sang sur ta...

— Que s'est-il passé ? insista Torunn.

— Je vous le raconterai en chemin.

— En chemin ?

— Il faut partir, pressa Skadi en se dégageant de l'étreinte de Tanagra. Elle se mit à arpenter l'espace exigu de la cabane à grands pas, avec la semblance d'une renarde prise au piège.

Son regard blanc suspectait chaque ombre, chaque recoin. A la voir si nerveuse, Tanagra n'osa pas insister. Elle connaissait la nature de Skadi, elle connaissait l'intelligence de son instinct. Sans protester davantage, elle s'empara d'une grande poche en cuir tanné et la remplit ; de vêtements, de robes et d'écharpes suspendues, de bocaux poussiéreux méticuleusement sélectionnés, de petits sachets de plantes séchées, de ces petites babioles qui rassurent les sorcières superstitieuses. Skadi ne voyait pas l'intérêt de s'équiper de quoique ce soit d'autre que d'une bonne lame mais l'état de Tanagra lui inspira la clémence.

« Ils n'ont pas accepté le marché, n'est-ce pas Skadi ?

— Loki a foiré ! vociféra-t-elle, furieuse.

— Où est-il ?

— Déjà parti, c'est certain !

— Où ça ?

— J'espère pour lui qu'il est déjà loin. Il a attiré Vidar sur ses talons !

— C'est... c'est son sang, sur toi ? demanda Tanagra avec prudence.

— Quand ils le retrouveront, ils débarqueront ici. »

L'urgence de la situation ne faisant plus aucun doute, Torunn accepta de rassembler ses quelques affaires.