Moins d'une journée s'était écoulée. A peine quelques heures, depuis l'envol de Lokten. Tout cela paraissait si lointain, tout à coup. Presque secondaire. Quelques heures. N'était-ce pas là une drôle de chose à penser ? Durant ces quelques heures, s'étaient exprimées plus de pensées refoulées, plus de sentiments qu'en toute une année. Un épuisement qu'aucun sommeil ne pouvait soulager écrasait Sygn sans parvenir à atteindre sa douce euphorie. Les yeux clos, elle retenait ces quelques heures, bien à l'abris de la lumière cruelle qui défait les illusions. Quelques heures venaient d'emplir sa coquille creuse, vidée par les maléfices et la culpabilité, d'un mélange secret, fruit de la passion charnelle et d'un torrent de sentiments. Sous ses paupières, la chevelure de son amant se peignait en nuances enflammées. Elle brûlait de la ressentir, entremêlée à ses doigts blancs. Lovée dans une épaisse couverture qui l'enjoignait à demeurer dans ses songes, Sygn roula doucement sur le côté.
Loki avait quitté le lit. La chambre. Il n'était plus là. Depuis combien de temps ? Qu'est-ce que cela changerait ? Cela n'aura pas d'importance. Ces mots revinrent, aussi brutaux que la réalité. Pas d'importance. Au nom de cette seule condition, ils avaient cédé l'un à l'autre. Cela avait été dit. Le pacte avait été scellé. Elle n'avait pas le droit de revenir dessus. Pas le droit de se comporter comme une ingénue éprise, sortie d'un conte. C'était là le privilège des âmes emprunte de pureté morale et étrangères à tous vices ; ces âmes infiniment meilleures que la sienne. Sygn eut beau se le répéter, marteler en pensée que de ces quelques heures, ne lui appartiendrait jamais plus qu'un souvenir, elle ne parvenait à s'y résoudre. L'espace d'un instant qui s'étirait, cela en avait, de l'importance. Ces quelques heures ne se mesuraient à aucune autre. Leur singularité avait marqué la sorcière comme un tison ardent, plongé dans sa poitrine. Ces quelques heures avaient fait battre si fortement son cœur qu'il s'était arrêté en découvrant la couche, vide. Sygn s'interdisait le moindre reproche, elle n'en avait pas le droit. Loki avait tenu sa parole, il lui revenait de tenir la sienne.
Face à cette place déjà froide, la chambre redevint une étrangère. Les fleurs et leur doux parfum ne suffisaient pas à la duper Sygn. Il manquait la chaleur, il manquait les sourds grondements des cœurs qui s'accordent, il manquait les soupirs, les visages enfiévrés, la brutalité des corps qui s'entrechoquent, l'odeur âcre de la peau moite et les promesses interdites que l'on garde muettes. Enroulé autour de ses doigts, Sygn démêla un long cheveu roux. Un trophée, un témoin, une preuve que tout ceci avait bien eu lieu. Quel curieux besoin que celui de s'assurer de la véracité des souvenirs. Cela n'avait pas été un rêve. Ses membres n'avaient pas inventé leurs courbatures.
En ramassant ses vêtements, Sygn réfléchissait à ce qui suivrait. Bien que personne n'attendait plus rien de sa part, elle ne comptait pas rentrer à la maison. Pour y trouver quoi ? Pour y trouver qui ? Qui l'y aurait encore accueillie ? Elle qui avait passé toute une vie à désirer parcourir le monde regrettait son foyer. A quoi bon voyager seule ? Cette idée ne faisait plus le moindre sens, sans Siegfried.
Le monde se rétrécissait, se resserrait, comme cette chambre, désertée par le dieu de la malice. Un frisson glacé parcourut ses membres. Quand la solitude assombrissait son âme, Sygn avait coutume de s'enfouir dans le crin épais de Spiegel. La jument lui avait-elle pardonné son abandon ?
Avant de sortir de la chambre, Sygn jeta un dernier regard vers le lit défait. Cela ne devait pas avoir d'importance. Quelle sotte prétentieuse faisait-elle, à envisager la comparaison avec l'amante attitrée de Loki ? La mystérieuse Tanagra, que même Freya, couvrait d'éloges. Sygn espérait bien ne jamais la croiser. Elle n'assumerait pas son existence devant une telle femme et lui donnerait raison de vouloir la pulvériser sur place. Pourquoi n'arrivait-elle que maintenant dans ses pensées ? Cela ne devait pas avoir d'importance. Cela ne devrait jamais en avoir assez pour parvenir aux oreilles de l'énigmatique Elfe Noire.
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[Réécriture TOME 1] L'Enfant d'Asgard
Fantasi-- Depuis toute petite, Sygn ne rêve que d'une chose : parcourir les contrées les plus dangereuses d'Yggdrasil aux côtés de son frère Siegfried, heureux élu d'une glorieuse prophétie. A l'écart de tous, tous deux grandissent, bercés par les récits d...