Un rayon de soleil réchauffait la demeure de Freya. Le printemps se présentait et la déesse avait finalement accepté de faire ses adieux à son royaume. Elle en avait aimé chaque parcelle, de sa saison la plus venteuse à la plus torride. Son monde était un parent mourant qu'aucun remède ne pourrait plus soigner ; à son égard, la plus grande clémence consistait à lui lâcher doucement la main pour le laisser mourir. Parcourant les couloirs, les vastes salles de réceptions, les nombreux salons, les cabinets secrets, les chambres cachées, les balcons jadis fleuris et les étangs intérieurs autrefois si gais, Freya se souvint une dernière fois de sa royauté. Quelle souveraine excessive avait-elle été ! Avec quelles toilettes extravagantes avait-elle foulé le parquet ! Elle avait dansé, bu et couché avec autant d'indécence que ne l'avaient aimée ses sujets. Les nuits de Vanaheim n'avaient jamais suivi la course du soleil. Les corps repus de tous plaisirs, enchevêtrés jusqu'à ce que l'astre de d'Or ne les surplombe haut dans le ciel. Tout cela appartenait à un autre temps, un autre lieu mais déjà, Freya gageait que Vanaheim renaîtrait sous un jour tout aussi beau, tout aussi démesuré. Son pèlerinage s'acheva là où il avait débuté : dans son cabinet de l'aile Est, tapissé d'étagères sur lesquelles trônaient les offrandes accumulées au cours des décennies. Toute célébrant la beauté de la Déesse qui n'avait jamais cherché à nier sa vanité. Du moins, fallait-il croire que tous, de ses propres sujets à ses plus lointains prétendants, s'étaient aperçus des adorables travers de sa personnalité, et avaient apporté un soin tout particulier à les entretenir.
Freya passa autour de ses doigts des bagues devenues trop grandes, elle entoura sa gorge de rivières de diamants, elle coiffa ses cheveux de broches d'argent, de peignes d'ivoire, et couvrit sa peau d'étoles toujours soyeuses. Elle inspira profondément le parfum qui incrustait encore les étoffes en jurant oublier celui de la cendre. L'odeur de Vanaheim n'était pas celui de la désolation, mais celui de l'opulence. Son goût n'était pas celui de la mort, mais celui de cette bouteille de vins d'épices, offerte par les souverains de Jotunheim lors d'un solstice d'été. Alors, imprégnée de tout ce que son royaume avait connu de plus somptueux, Freya crut ressentir un semblant de paix, à l'idée de partir. A bien y réfléchir, peu comptait le souvenir que garderaient ceux qui n'avaient pas connu Vanaheim. Le sien, suffirait à son réconfort.
Mais derrière cet autel, parfaite conclusion à la résolution de la belle Vane, surgit tout à coup le trouble en la personne de Loki.
« Alors c'est la vérité ? »
Il n'attendit aucune permission pour se laisser choir dans un sofa, pourtant déjà prisé par les chats de Freya. Tous deux bondirent, crachant entre leurs petits crocs pointus en signe de mécontentement. Ils se réfugièrent auprès de leur maîtresse en pleurnichant, qui naturellement, prit leur défense au travers d'un regard sévèrement froncé, jeté à leur agresseur. La réprimande n'alla cependant pas plus loin.
La tête entre les mains, Loki se morfondait comme il avait rarement été donné à Freya de voir quelqu'un se morfondre. Contrairement à ce qu'elle aurait cru, un tel excès de la part du démon suscitait davantage sa curiosité que sa moquerie. Lui aussi avait passé sa journée à gamberger et aucune réflexion n'avait su atténuer son choc. Qu'il était déconcertant de le voir si troublé par chose si simple, si primitive, si naturelle que l'amour. Certains animaux le comprenaient et l'acceptaient. Pourquoi pas lui ?
La belle déesse servit le vin, et d'un geste délicat, invita Loki à en prendre une coupe, car ses pensées l'absorbaient tant qu'il ne semblait pas avoir remarqué celle que lui tendait son hôtesse.
En silence, Freya s'installa dans l'un des fauteuils, cousu de velours, et replia ses jambes fines sous son jupon de laine. Ses tendres princes n'attendirent aucun signal pour l'y rejoindre.
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[Réécriture TOME 1] L'Enfant d'Asgard
Fantasía-- Depuis toute petite, Sygn ne rêve que d'une chose : parcourir les contrées les plus dangereuses d'Yggdrasil aux côtés de son frère Siegfried, heureux élu d'une glorieuse prophétie. A l'écart de tous, tous deux grandissent, bercés par les récits d...