Remise aux soins de la solitude, Sygn venait de prendre sa décision. Après avoir arpenté en tous sens la demeure de Freya, elle allait s'en éclipser. En silence, dans la nuit, là où flottaient les ombres ; elle se fondrait parmi les ténèbres et redeviendrait ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. Quelle naïveté que la sienne, d'avoir cru pouvoir s'extirper de ce rôle !
A la rampe d'un balcon, elle suspendit sa besace – contenant les dernières pommes d'or. A en croire la demi-douzaine de calices, de coupes et de choppes entamées, éparpillées sur le plat de la rampe ou sur des guéridons, Freya ou Freyr avait coutume de passer par ici, sans doute pour y contempler l'eau figée de la cascade, en contrebas.
L'élaboration n'était pas le point fort de son plan, mais Sygn l'estimait suffisant. En plusieurs heures, elle n'avait croisé personne. Dans ce dédale tout en courbes et aussi vaste qu'une forêt, ne vivaient que très peu d'âmes, en fin de compte. Il suffirait de quelques minutes de plus et toutes ces histoires, ces complots, ces périples, ces espoirs vains et niais se trouveraient derrière elle. Cette perspective la réconfortait et lui tordait les entrailles à la fois. La distance s'appliquerait autant aux regrets qu'au ridicule dont elle s'était couverte en laissant éclore quelques sentiments. Tout s'en retournerait au néant. Mais que ferait-elle de ce renouveau ? Que valait-il, s'il demeurait aussi solitaire que ces dernières heures ?
Les pommes présentées en évidence, Sygn tressaillit. Pas de bruit, mais l'onde d'une présence. Pareille à une chatte pressentant l'approche de plus gros prédateur, elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Pourquoi tant de culpabilité ? Le gémissement du parquet la précipita dans l'ombre projetée par une statue, hissée sur un large socle en ivoire.
La maîtresse des lieux ne tarda pas à se révéler dans la lueur cuivrée du crépuscule. Avec sa démarche aérienne et le drapé de sa longue robe de laine mauve, Freya semblait faite de la même matière que les nuages, mouchetant le ciel.
« Notre fugueuse est passée par ici, chantonna-t-elle et sa voix avait la douceur d'un soir de printemps.
L'essence de la saison transparaissait en la présence de la déesse. Pluvieuse, venteuse, ensoleillée et pourtant fraîche, imprévisible mais accomplissant inlassablement le miracle de l'éveil sur toutes choses que l'hiver avait endormi. Sa curiosité la poussa à écarter l'ouverture de la besace et à se régaler, d'un regard, des fruits qu'elle contenait. D'un geste dansant du poignet, Freya affirma le fi qu'elle faisait de l'expression embarrassée de Sygn.
« Nous préparons tous notre départ, semble-t-il. Dans quelques heures, ma demeure sera vide et le restera jusqu'au jour où surviendra le déluge qui nous engloutira tous. »
Bien que la déesse parlât sans réellement s'adresser à elle, Sygn fit un pas hors de l'ombre. Freya pivota dans sa direction et aussitôt, la sorcière regretta sa cachette. L'impression d'être nue. De ne rien pouvoir dissimuler. Freya avait l'œil perçant d'une prédatrice curieuse, qui ne verrait pas d'objection à lire les secrets de ses proies jusque dans leurs entrailles.
— Où allez-vous ? demanda Sygn, après une longue hésitation.
— Là où ces pommes doivent aller. Et tu viens avec nous.
— Je ne suis pas certaine d'avoir une place parmi vous.
— Une place, répéta Freya en considérant la chose avec sérieux. Tu n'as pas plus ta place là-bas que je n'en ai, hélas.
— Qu'est-ce que cela signifie ?
— Que personne n'a de place nulle part, je le crains fort.
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[Réécriture TOME 1] L'Enfant d'Asgard
Fantasia-- Depuis toute petite, Sygn ne rêve que d'une chose : parcourir les contrées les plus dangereuses d'Yggdrasil aux côtés de son frère Siegfried, heureux élu d'une glorieuse prophétie. A l'écart de tous, tous deux grandissent, bercés par les récits d...