Je cours.
Des vagues griffent le sable comme pour m'attirer vers elles. Je ne peux pas les fuir. Mes pieds sont de plomb et chacun de mes pas résonnent douloureusement dans mon corps. Mes poumons semblent sur le point d'éclater. Le sable doré se dérobe sous moi. Il s'étend à l'infini, aussi loin que mon regard peut porter. Je titube, glisse, me relève.
Quelque chose tente de me mordre les talons. Je suis terrifié, ça se rapproche.
Et si je me retournais ? Si j'affrontais ce qui me poursuit ?
Je cours désespérément.
En vain... Ça me rattrape.- Chut, ce n'est rien..
Je continue à me débattre alors qu'Adam tente de m'immobiliser, puis je le reconnais.
A cet instant, le rythme de mon coeur ralentit. Ma vision se fait plus nette. Je m'écarte de mon ami.- C 'est bon, ça va.
En réalité une partie de moi continue à courir.
***
Il y a une respiration légère, régulière, tout près de moi.
Puis j'entends des sifflements joyeux, dans la direction inverse. On dirait une mélodie, qui se répète sans arrêt...
On dirait... un mot me vient : des oiseaux ?
J'ouvre les yeux : Adam dort profondément sur le vieux fauteuil.
Je marche en silence jusqu'à la fenêtre et tire le rideau.
Un autre mot me traverse l'esprit : aube.
Le ciel est strié de rouge et de rose, parsemé de minces volutes de nuages encore sombres. L'herbe est éclaboussée d'orange, d'or, de vermillon et de pourpre. C'est magnifique. Jamais encore je n'avais vu le jour se lever. A l'hôpital, la fenêtre de ma chambre était orientée à l'ouest, et je n'avais le droit qu'au soleil couchant. Enfin, à ce que m'en laissaient voir les hauts immeubles environnants.
J'ouvre la fenêtre en grand, me penche et respire l'air frais, dépourvu d'odeur de désinfectant. Les rougeoiements du ciel laissent rapidement place à une lumière dorée qui fait chatoyer les vitres des voisins.
Soudain, j'ai la certitude d'être né en ville.
J'en suis aussi sûr que je respire. Cet endroit ressemble à l'endroit où je vivais autrefois. J'ai l'impression d'avoir un passé. Sauf que maintenant, c'est ici, chez moi.
D'après le Docteur Hatten, il n'est pas possible de savoir si les images qui m'arrivent de mon subconscient sont vraies ou non.
Un son strident et continu me perce les tympans : le téléphone sonne. Adam fait un bon puis se précipite vers ce dernier. Le vacarme s'arrête.- Je suis arrivé trop tard, dit-il en se frottant les yeux.
- C'était qui ?
- Ma mère, elle voulait de nos nouvelles, je pense.
Sa mère travaille en tant qu'infirmière. Pendant neuf mois, les quatre murs de ma chambre d'hôpital ont marqué les frontières de mon univers, avec le gymnase et les salles de cours à l'étage d'en dessous.
Neuf mois, ce n'est pas forcément long quand on a tout à redécouvrir. En général, un Effacé reste quatre mois après son opération. Mais mes cauchemars ont prolongé ce séjour...- Je te laisse faire la vaisselle, me dit Adam.
- Pourquoi ?
Il lève les yeux au ciel, amusé.
- Je te laisse faire la vaisselle, répète-t-il.
Je me lève et regarde les assiettes sales d'hier soir sur la table. Que veut-il dire ? La vaisselle est déjà fabriquée.
- Prends les assiettes et les couverts et pose-les là, m'explique-t-il en désignant l'évier.
Je prends une assiette et la porte à l'endroit indiqué.
- Pas une à une, c'est trop lent ! Tu dois les empiler, comme ça.
Il s'empare des assiettes, rassemble les couteaux et les fourchettes dans celle du dessus et pose bruyamment le tout dans l'évier.
- Remplis l'évier d'eau chaude. Ajoute du liquide vaisselle. Pas trop..., commente-t-il en pressant un flacon d'où sort un flot de bulles. Après tu frottes avec la brosse.
Je l'observe avec attention.
- Ensuite tu rinces chaque assiette sous le robinet et tu la mets dans l'égouttoir, comme ça. Et tu recommences. T'as compris ?
- Oui, je crois.
Alors c'est ça, "faire la vaisselle"...
Je débarasse une assiette des restes collants de sauce tomate, la rince et la place sur l'égouttoir.- Mets la gomme, sinon tu vas y passer la journée.
- Je mets quoi ?
- La gomme. Ça veut dire : accélérer. Aller plus vite, m'encourage Adam.
Après les assiettes, les couverts. J'accélère (je mets la gomme !) et Adam essuie la vaisselle mouillée avec un torchon. Je saisis les couteaux et tourne la tête pour le regarder faire.
- Aïe !
Une fine ligne rouge dégouline au creux de ma main droite.
- Oh ! Merde ! Jack !
Adam me tend une feuille de papier absorbant.
- Appuie dessus. Ça te fait mal ? me demande-t-il.
- Un peu...
En réalité, ça brûle là où la peau est fendue. Une large tâche rouge envahit le papier blanc.
- Jack, j'ai oublié de te dire que les couteaux sont coupants. Ne les tiens jamais par la lame.
Il rit. Je baisse la tête, confus. Il y a tellement de choses à savoir...
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DELETED
Science Fiction2031, le Royaume-Uni se retire de l'Union Européenne et ferme ses frontières. L'Europe connaît alors une crise sans précédent. Le Mouvement pour la Loi et l'Ordre prône la tolérance zéro sur la violence et la désobéissance civile, et des châtiments...