Chapitre 16

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Six heures.
Quelqu'un tire la chasse d'eau, j'émerge de mon sommeil en grognant alors qu'une douleur lancinante me traverse le crâne.
En jetant un œil à la fenêtre, tout me paraît terne et triste, comme si le ciel était en deuil. Je ferme les yeux, des images défilent ; le sourire narquois de Jaime, les traits désolés d'Holly puis l'attente de la mort du petit.

- Jack ?

Je frisonne, sa voix sonne comme la détonation d'une arme.

- Jack ? Insiste Adam en remarquant mon air hébété.

Je le fixe, coincé sur la même image puis je divague dans le vide.
Quelque chose presse mon bras, ça me force à revenir.

- Ouais ?

Je ne parviens pas à contrôler les tremblements dans ma voix, j'imagine à quel point je dois lui faire pitié.

- Dépêche toi !

Je le regarde incrédule avant de percuter que je dois l'accompagner à son camp d'entraînement. La pauvre Holly ne s'effacera jamais de mes pensées.

***

- On va prendre ma voiture, lance Adam alors qu'il presse le pas.

On arrive au parking qu'il a indiqué, je n'ai pas le temps de souffler qu'il monte dans la voiture. La portière du passager s'ouvre et je monte.
Un instant plus tard, nous quittons la route principale pour des routes secondaires sinueuses et à demi envahies par la végétation. Adam garde le silence. Mes entrailles sont nouées. Qu'est-ce que je vais voir là-bas ?

- Nous sommes presque arrivés, annonce-t-il.

Mais je ne vois qu'une succession d'arbres. La route devient plus étroite laissant à peine le passage à la voiture. Adam s'arrête. Rien en vue. Il me montre un sentier presque invisible dans le sous-bois.
Nous descendons du véhicule, de toutes évidences, il ne passera pas. Je respire moins librement à mesure que l'on marche.
Nous nous avançons au milieu des arbres sur le sentier à peine visible, doucement et avec précaution.
Puis j'aperçois une petite clairière. Sur l'un de ses côtés, sous des branches d'arbres tombantes, une bâche verte et des branches coupées recouvrent des objets massifs. À l'autre extrémité, quelqu'un attend assis sur une souche, il consulte sa montre.
Je cille une fois, puis deux. Ma vision a changé, comme si je dormais les yeux ouverts, comme si j'étais à la fois ici et perdu dans un rêve - ou un cauchemar. Soudain, mes bras et mon dos se couvrent de chair de poule. L'arrière de sa tête m'est familier, très familier, même. Ses cheveux blonds sont plus longs et ses épaules plus larges qu'autrefois. Mon cœur bat vite. Je me demande en même temps si c'est bien lui, et, sinon de qui il s'agit. Je m'avance avec hésitation, sans regarder où je pose les pieds. Une brindille craque sous l'un d'eux.
Il se retourne vivement en direction du bruit. Ses yeux s'agrandissent et il regarde droit devant lui pendant quelques secondes. Une émotion trop fugitive pour être reconnaissable se lit sur son visage, puis il se ressaisit.

- Ça alors, incroyable ! Lance-t-il. C'est toi ?

Son visage se renfrogne en une expression que j'avais presque oubliée, mais dont le souvenir me revient nettement.

- Bonjour, Jaime, dis-je.

- Je n'aurais jamais cru te revoir, je croyais que tu avais été Effacé, répond-il.

Sa mâchoire est contractée et un petit muscle tressaille sur sa joue.
Adam pose une main réconfortante sur mon épaule alors que mon cerveau tourne à plein régime ; je connaît bel et bien ce gars.

- Allez, venez, il vaut mieux se mettre en route, dit Jaime.

Il soulève la bâche, dévoilant des vélos tout-terrain.
Un instant plus tard, nous parvenons à un embranchement où je m'arrête pour repérer le chemin. Ils me dépassent sur la gauche, ralentissent, puis traversent un ruisseau rocailleux. Nous descendons de nos vélos et les poussons au milieu d'arbres resserrés. Là, une maison apparaît. Vue de l'extérieur, c'est une ruine, et il en irait probablement de même de vue aérienne : d'horribles blocs de béton croulants qui datent de plusieurs décennies. Un chemin longe l'un des côtés de la maison.

- Une planque ? Je m'enquiers.

- Le LRU en a dans tout le pays et dans les endroits les plus inattendus, pour y dissimuler des combattants et des armes, explique Adam sur un ton pédagogique.

Et moi, qu'est-ce que je fais ici ? Je ne suis pas un combattant, pourtant ils ont l'air de vouloir m'intégrer au mouvement. À ma grande surprise, je n'éprouve pas de haine envers Jaime. Un souvenir apparaît avant de se dérober presque aussitôt. Je soupire frustré.
Nous contournons la maison. À l'arrière s'élève un arbre sur lequel on distingue vaguement des cercles concentriques. Je prends dans la boîte un couteau, dont le contact et le poids dans ma main me paraissent étrangement familiers, comme si j'en maîtrisais l'usage depuis longtemps. Je fronce les sourcils.

- Vous êtes enfin là, lance une voix rauque que je reconnais.

Je lève la tête et serre le manche si fort que mes jointures blanchissent.
Je reconnais celui qui est venu hier avec un certain Katran. Adam relève le menton, il arbore une mine indéchiffrable.
L'homme à la chevelure grisonnante tourne les talons, suivi de près par mon ami. Je les regarde s'éloigner, me laissant seul avec Jaime et le couteau.

- On te croyait perdu, tu parles d'une surprise, ricane quelqu'un derrière moi.

Qui ça "on" ? Ma respiration se saccade et je peine à retrouver une meilleure posture.

- Comment t'oublier ?

Un sourire malicieux se dessine sur les lèvres de mon interlocuteur tandis que je sens la colère parcourir mes veines en repensant à Holly.
Je lance mon couteau en direction de la cible. Tout en feignant de me concentrer, j'observe Jaime.

- Bravo, dans le mille.

J'écarquille les yeux, il a raison. Je profite alors de ce coup de chance.

- Si je découvre quelque chose qui ne me plaît pas, je saurais en faire usage.

Je saisis l'un des couteaux et passe un doigt sur le fil de la lame.

- C'est une menace ?

- Je dirais un appel à ton bon sens.

Jaime sert les dents, j'ai une impression de déjà vu. Je me renfrogne et serre les poings. Pourquoi je me donne tant de peine avec lui ?

- Pourquoi t'es si con ?

- Tu tiens vraiment à le savoir ? Demande-t-il avec une intonation coléreuse.

Adam revient en compagnie d'une tête poivre et sel.

- Ça suffit vous deux, Coulson a un message, intervient-il.

D'autres personnes arrivent, ils sont tous jeunes. Une fille brune attire mon attention : Holly. Un garçon plus petit croise les bras à côté d'elle. Son frère ?

- Puisque vous êtes tous là, j'ai une nouvelle à vous annoncer, déclare-t-il. Ce sera un grand honneur pour vous tous.

Il marque une pause.

- Grâce à de nouveaux renseignements, nous avons réussi à localiser un CRC des Lawers, un Centre de Retour et de Cessation, où ils éliminent les Effacés qui ont, selon leurs termes, rompu leur contrat. Vous l'attaquerez demain à l'aube.

Je serre les poings, ravagé de douleur à l'idée de ce qu'on leur fait subir là-bas.
Tout le monde sourit avec nervosité, puis pousse des acclamations.
Je regarde Jaime, qui hausse un sourcil.

- Tu seras des nôtres ?

J'acquiesce. Une forme de complicité se crée entre nous, nous nous sourions.

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