DELETED

Chapitre 14

Je claque la porte en songeant à Adam. Ça fait trois jours qu'on ne se parle plus que par messages. Il répond brièvement le soir, je ne sais rien de ce qu'il fait.
L'air extérieur est frais, des nuages clairs et foncés assombrissent le ciel. "J'aime le gris" pensé-je en crachant la fumée de ma cigarette. Tout est gris.

- Désolée pour le retard, fait timidement une voix.

Lena, je n'ai pas eu à lui demander deux fois son nom qu'il est comme tatoué dans mes pensées.
Je la contemple, je pense à tout ce qu'il pourrait se passer entre elle et moi. Je la ferai sortir de sa vie morose, j'apprendrai par coeur la pureté de ses formes et peut-être que j'aurai le droit aux regards qui rendent plus fort.

- On fait quoi maintenant ?

- Hum.. Bah on y va, bégayé-je, gêné par mon égarement.

***

Nous nous arrêtons dans un pub peu fréquenté, l'endroit est idéal pour préserver notre intimité. Avec elle, je n'ai plus l'impression d'être un Effacé oppressé par le monde extérieur. Elle rit, peut-être qu'elle aussi se détache de son quotidien.

- Alors, tu ne te rases plus ?

- En fait, je pensais que tu aimais les hommes barbus, commenté-je en effleurant ma joue, hum, une bière ?

Elle refuse timidement avec un sourire tandis qu'un serveur arrive, je commande alors deux cafés.
Elle me raconte quelques anecdotes pendant qu'elle fait tourner la cuillère dans sa tasse. Certains clients sont abjects avec elle, ils ne supportent pas les Effacés et encore moins les dérivés. Elle voudrait se cacher quand les regards deviennent insupportables. En fait, elle est à deux doigts de se crever les yeux tellement la réalité est dure. En l'écoutant, je sens un sentiment inconnu grandir en moi. Je m'imagine tout lui donner.

- C'est horrible la sensation d'être la risée de tout le monde, conclut-elle découragée.

- Mais tu es spéciale pour moi.

Elle se fige. "Quel con". Une chaleur soudaine m'étouffe et me prend à la gorge.
Je regarde les tourbillons que je crée avec ma cuillère.
Un couple plutôt dynamique attire notre attention et nous débarrasse enfin de ce silence pesant. L'homme est très concentré sur sa tasse pendant que sa compagne est en admiration lui. Je m'intéresse maintenant au café pour comprendre la scène. Avec un cure-dent, il fait apparaître une tête de loup de profil dans la mousse. Plus cet artiste ajoute de détails plus ma fascination pour son oeuvre grandit.

- Jack.

Je fais face à Lena, en ravalant ma salive. J'ai l'impression d'être le môme qui va se faire engueuler pour avoir casser un vase.

- Regarde près du bar, je crois que c'est Adam.

Je scrute la longue rangée de hauts tabourets et le personnel qui s'activent pour servir les pressions. Le mobilier est sombre, il met en valeur le nombre incalculable de bouteilles claires et colorées qui l'entoure.
Je suis soulagé que Lena n'ait pas poursuivi sur ma déclaration foireuse mais l'idée de trouver Adam ici me met en proie à un tas d'émotions. Il est peut-être en mission avec son organisation, c'est effrayant et excitant à la fois.
Il est là !
Un homme blond avec une allure plutôt athlétique vient de se mettre de profil, la conversation semble intense. Lui et son partenaire ont un visage grave, marqué par un manque de sommeil important.
Des pulsions essaient de m'entraîner près d'eux pour écouter. Adam ne s'attend pas à croiser quelqu'un ici et ne fait pas attention à ce qui est autour de lui. Si je reste à une distance correcte pendant quelques minutes, il n'y aura pas de complications.

- C'est pour moi, lancé-je à Lena en attrapant le ticket.

- Mais Jack-

- Ramène des Chips pour la prochaine fois.

Elle sourit, gagné. Je m'élance sans tarder vers un serveur à une dizaine de mètres de mon objectif. La foule près du comptoir me cache mais couvre aussi leur discussion.

- [...] vient d'identifier les corps, un putain de massacre. [...] Pas un survivant, on pense tous qu'ils ont torturé avant d'abattre.

- Et Bran ? Demande Adam la gorge serrée.

- Exterminé, comme les autres. Ned n'a pas retrouvé ses ongles, ni sa langue [...]. Ces salopes lui ont explosé le crâne.

Mon ami s'effondre au milieu des verres vides, je regarde ses épaules hocher, il est dévasté.
Je sors tête baissée du pub, jamais je ne l'ai vu dans cet état. Il a toujours été fort et confiant, que ça soit avec les Lawers ou dans les explications délicates. Je n'ose même pas imaginer les pensées qui l'habitent.

***

Je cale un oreiller sous la nuque, encore bouleversé. Peut-être que j'aurai dû trouver une excuse et rester?