Chapitre 6

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- Bonjour, vous tous ! Aujourd'hui nous accueillons un nouveau participant, annonce Miss Lysander d'une voix presque aussi éclatante que son pull jaune canari.

"Vous tous", c'est une douzaine d'Effacés venus des villages environnants. Nous sommes assis en cercle dans une salle haute de plafond et envahie de courants d'air.
Miss Lysander me pousse au centre :

- Présente-toi et prends une chaise !

- Salut. Je m'appelle Jack, marmonné-je avant d'aller m'assoir.

Les autres me sourient et se sourient entre eux ; la plupart sont beaucoup plus jeune que moi. Une fille, d'environ 16 ans, les bras croisés, fixe la fenêtre ouverte sur l'obscurité.
Adam et moi étions invités chez un de ses amis. Il m'a donc proposé de manquer la réunion mais j'ai décidé de venir quand même.
Je commence presque à le regretter, vu les sourires béats des participants.
Je dois assister aux séances, tous les jeudis à 19 heures, "jusqu'à nouvel ordre". Hatten pense que j'en ai besoin.
Nous avions aussi des réunions de Groupe, à l'hôpital. Celles-ci consistaient à nous confier à une infirmière, dans une "atmosphère dépourvue de jugements". Sauf qu'en général, on finissait par nous dire ce que nous étions supposés ressentir.
Ça n'a pas l'air très différent, ici.
Miss Lysander croise les bras sur sa poitrine.

- Est-ce que quelqu'un se rappelle de ce que vous devez faire ?

Les Effacés se regardent sans réagir.
Enfin, l'adolescente se détourne de la fenêtre et lève les yeux au ciel.

- Oh la la, quelle bande de cons ! S'exclame-t-elle. Présentez-vous avant qu'on meure tous de vieillesse !

Elle a dit tout haut ce que je pense tout bas, mais comment a-t-elle osé ?
Miss Lysander fronce les sourcils.

- Tu veux bien commencer, dans ce cas ?

- Bien sûr. Salut, Jack. Moi c'est Tori. Bienvenue dans notre Groupe du bonheur.

Ensuite, les autres disent chacun leur nom d'une voix chantante, inconscients du sarcasme cinglant dans la voix de Tori. Sauf Miss Lysander, qui continue à froncer les sourcils.
Une fois les présentations terminées, l'infirmière jette un oeil à l'horloge. Il est 19h10.
Elle nous explique que nous avions été condamnés à être Effacés parce que nous avions commis des actes graves, voire criminels. Nos mémoires et nos personnalités ont été effacées à jamais de notre cerveau, et la puce fixée à notre nuque permet de surveiller notre nouvelle adaptation au monde. C'est donc une deuxième chance qui nous évite la prison ou la chaise électrique. Elle a insisté sur le fait que nous devons être reconnaissants pour ça.

- Tu n'as jamais eu envie de savoir ?

- Savoir quoi ?

- Pourquoi t'as été Effacé ?

Miss Lysander frappe dans ses mains plusieurs fois ; c'est l'heure. Tout le monde se lève. Nous sortons en file indienne, en passant devant trois silhouettes grises. Ce sont des Lawers. J'ai les jambes flageolantes, m'attendant à tout instant à sentir une main s'abattre sur mon épaule.
Pourtant ce n'est pas moi qu'ils arrêtent.
Ils s'avancent vers Tori qui devient livide. Personne ne s'interpose. Même l'infirmière s'écarte de leur passage. Je regarde Tori s'éloigner, je ne la reverrai jamais. C'est fini pour elle.

***

- Tu veux une Chips ? Me propose Adam en s'affalant sur le canapé.

- J'ai pas faim.

- Ta blonde te manque ?

- Me parle pas d'elle, soupiré-je.

- Qu'est-ce que t'as ? Il n'a plus l'air amusé.

- Des Lawers ont emmené une gamine de 16 ans.

J'ai l'impression d'avoir perdu Jack, son regard a sombré dans le vide. Il se pince les lèvres et baisse la tête.

- Ça va ?

- C'est moi qui devrait te poser cette question..

- Mais je l'ai dit en premier. Il y a quelque chose que je devrais savoir ?

- Rien de bien.. Fais attention à toi Jack.

- Quoi ?

- Je vais me coucher.. Salut, m'annonce-t-il en faisant semblant d'être fatigué.

J'étends mes jambes sur le canapé. Pourquoi dormir ? Demain ne sera peut-être pas mieux. Je pense à Tori, puis ferme les yeux pour me remémorer son profil. Une image traverse mon esprit, je la balaie aussitôt de mes pensées. Je ne peux pas croire qu'elle est morte ou enchaînée comme un animal. Je ne veux pas croire que son sort pourrait être le mien.



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