Chapitre 7

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Je suis seul, assis en tailleur dans le coin d'une pièce. Il fait sombre mais je tiens une lampe électrique dans ma main droite.

J'ai faim. Il fait froid et humide. Mes jambes sont engourdies et je n'ai pas la place de les allonger, mais ça m'est égal. La feuille est posée sur une petite planche, sur mes genoux. Mon crayon vole sur le papier, pour créer un lieu imaginaire très loin d'ici. Un endroit où j'aimerais vraiment être...

Puis je tressaille : des pas descendent l'escalier au-dessus de ma tête.

J'éteins ma lampe et retiens ma respiration.

Les pas s'arrêtent en bas des marches, marquent une pause, puis repartent et s'approchent lentement de ma cachette. Je devrais faire quelque chose, cacher mes dessins, me lever... mais je reste figé comme une statue de pierre.

Soudain, la lumière d'une torche m'inonde le visage. M'aveugle.

Il voit tout : les dessins, le crayon. La main qui le tient.

- Ah, tu étais là... Debout ! ordonne-t-il.

J'obéis péniblement, encore ébloui par la lumière.

- T'as encore désobéi.

- Je suis désolé. Je ne le referai plus jamais, je te le promets !

- Je ne veux plus de promesses. On ne peut pas te faire confiance.

Sa voix est pleine de regrets. De tristesse, même.

- Donne-moi ta main gauche, poursuit-il.

Comme je n'en fais rien, il la saisit.

- Il faut que tu apprennes, je n'ai pas le choix.

Et il m'écrase les doigts, un à un, avec une brique.

Il n'a pas le choix ?

***

Une douleur lancinante me traverse les yeux.

Un goût amer dans la bouche me fait tousser.

- Il revient à lui.

Qui a parlé ?

J'essaye d'ouvrir les yeux, mais ils me brûlent comme si le soleil avait envahi le ciel.

- Jack ?

C'est Adam.

- Eteins la lumière, marmonné-je.

Ensuite, dans la demi-pénombre, je plisse les paupières pour risquer un regard.

- Ah, enfin ! s'écrie Adam, soulagé.

Je suis allongé par terre. J'essaye de me redresser.

- Ne bouge pas encore, dit la même voix d'homme.

Je me tourne vers lui. Il porte une blouse blanche. C'est un auxiliaire médical ? Puis j'en vois un autre. Ils sont deux. Et Adam, très pâle, se tient à côté de moi.

Il me soulèvent pour me coucher dans le lit pendant qu'Adam tient une perfusion. Un des infirmiers règle le goutte-à-goutte, tandis que l'autre change la poche de liquide. Une chaleur envahit mes veines et emporte la douleur avec elle. Mes paupières se ferment.

Des voix discutent autour de moi. Elles sont de plus en plus lointaines.

"C'est à cause d'un cauchemar ? Juste un cauchemar ?"

"Il aurait pu mourir..."

"Rester au lit un ou deux jours..."

"Si tu ne t'étais pas réveillé quand il est tombé, il aurait pu mourir..."

"Dernière chance."

***

- Est-ce que je peux au moins avoir un livre ?

Adam secoue la tête.

- Non. Tu es censé te reposer.

- Je peux lire et me reposer.

- Non.

- A l'hôpital, je faisais les deux.

Je mens, bien sûr.

- T'es pas à l'hôpital. Dors, maintenant.

Il s'en va et ferme la porte derrière lui.

Il a sans doute de bonnes intentions mais c'est dur de se reposer quand l'autre blondasse entre toutes les cinq minutes dans la chambre pour vérifier si je dors...

Je ferme les yeux. J'ai encore l'impression qu'on m'a écrasé la tête dans un étau, même si ça va mieux que ce matin...

En fait, j'ai peur de dormir. Peur que mon rêve revienne. Maintenant que l'effet de la piqûre s'est estompé, tout peut arriver.

A l'hôpital, mes cauchemars étaient terrifiants mais vagues. La plupart du temps, je n'en gardais aucun souvenir. Souvent, je courais pour fuir quelque chose, sans savoir ce que c'était, et je me réveillais en hurlant.

Mais ici, c'est différent. Je m'en souviens aussi nettement que si je les avais vécus. Je sens la douleur, je vois mes doigts cassés, ensanglantés.

J'ai l'impression d'un souvenir gravé dans ma mémoire, si horrible que je ne parviens pas à l'oublier. Quel fait a ramené cette scène à la surface de ma conscience ? Tori ? Qui est l'homme du cauchemar ? Existe-t-il ou est-ce seulement une créature de mon imagination ? Dans le rêve, je ne vois jamais son visage. Il y a d'abord la lumière qui m'éblouit, puis je ne vois plus rien à cause de la douleur et de mes larmes.

Je lève ma main gauche , la tourne d'un côté et de l'autre. Pas la moindre cicatrice. Pour un peu, je pourrais me convaincre que cette image est un rêve et pas un souvenir.

Je suis Effacé. Je n'ai plus de passé.

Et pourtant, une certitude m'oppresse : personne ne doit savoir ce qu'il m'arrive. C'est une question de vie ou de mort.

DELETEDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant