Chapitre 12

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Je suis étendu sur mon lit, raide, comme sur la photo, je parais mort. Les crevasses de mes mains ne sont pas débarrasées du sang poisseux de l'infirmière. Ma mémoire et mes pensées font pourir mon esprit. Je me sens sale et plein d'impuretés de l'intérieur.

"Arrêt de la procédure"

Je plante mes ongles dans un bras, j'ai envie de m'arracher la peau. Pourtant, j'ai survécu mais il y a pire que de se prendre une balle et mourir vite.

Les cris, j'ai l'impression qu'ils résonnent toujours dans ma tête. Je ressens le sol gronder sous mes pieds et l'odeur métallique me gratte encore la gorge. Comme si j'y étais. Mais la scène est légèrement différente, les rôles sont inversés ; j'appuie sur la détente à chaque fois qu'une nouvelle cible apparaît dans mon viseur. Certaines balles se logent dans la tête, mes victimes meurent sur le coup mais d'autres les transpercent ailleurs pour les laisser agoniser.

Je me réveille en sursaut, j'emplis mes poumons d'air bruyamment sans que ça soit efficace. Je suffoque dans cette odeur de sang. Elle m'impose des choses qui ressemblent à des souvenirs que j'aurais refoulés, qu'on m'aurait enlevé. Je deviens fou. Hatten a raison ; je voulais que ces rêves soient des souvenirs, ça m'aidait à prétendre que je n'avais jamais été un Effacé.

- C'est ton imagination, maîtrise-toi..

La lumière me brûle les yeux, je ne vois rien à cause des larmes que j'essaie de contenir. Des bras m'encerclent.

- Oublie ce que t'as vu, chuchote Adam.

Sa voix est pleine de remords.

- Je peux.. pas.., répondis-je en hoquettant.

C'était peut-être son organisation.

- Je sais. Mais je ne vais pas te laisser comme ça.

Il me tape amicalement dans le dos avant de desserer son étreinte. Il met un flacon blanc devant moi. "Maux de têtes". Il semble comprendre ma confusion.

- Ne fais pas attention à ça.

Il renverse le flacon et un cachet rond tombe dans le creux de sa main.

- Tiens, pose le sur ta langue et laisse le fondre, poursuit Adam en me tendant le cachet clair.

- C'est quoi ça..

- Tu devrais pas te poser de questions. Prends-le, c'est tout, insiste-t-il en le donnant.

Je le fais rouler dans ma paume, j'hésite. Je peux faire confiance à un terroriste ? Un terroriste qui devrait être avant tout un ami. Et ce cachet pourrait en être une preuve. Je le mets sur ma langue puis attends qu'il fonde, comme me l'avait recommandé Adam.

- C'est bien.

- Il va faire quoi si c'est pas contre les maux de têtes ? demandé-je.

Je presse le cachet contre mon palais pour accélérer la fonte. Une chaleur bienvenue se répand dans mes veines. Presque instantanément, mon cœur cesse de battre la chamade. C'est quelque chose de fort pour que je flotte à ce point.

Je suis là et je ne suis pas là.

Adam m'emmène dans la salle de bain, place mes mains au dessus du lavabo puis les frotte.

Le sang s'en va si facilement quand il appartient à quelqu'un d'autre..

Ensuite, il me couche. Les draps sont frais, ma peau semble brûlante à leur contact. Je voudrais garder les yeux ouverts, réfléchir... Impossible.

Je flotte loin de mon corps. Je glisse sur des vagues sombres, qui me roulent, m'emportent.

Ma poitrine va éclater. Mes jambes cèdent sous moi et je m'effondre sur le sable.

Il crie, me menace, me supplie. Rien n'y fait, je ne peux plus avancer. J'ai trop mal.

De toute façon, bientôt, cela n'aura plus d'importance.

Alors il s'agenouille et me prend dans ses bras. "N'oublie jamais qui tu es. L'heure est venue. Vite, maintenant ! Monte le mur !"

Le danger se rapproche, c'est imminent...

Je construis le mur, brique après brique, rangée après rangée. Une haute tour s'élève bientôt autour de moi.

"N'oublie jamais qui tu es", crie-t-il encore au moment où je pose la dernière brique.

Elle bloque la lumière. A présent, je suis seul dans l'obscurité. Des cris horribles me déchirent le crâne. Ils expriment la terreur et la souffrance, comme un animal acculé dans un coin, face à la mort.

Je somnole et, quand je me réveille, je fais semblant de dormir. L'effet du médicament s'est estompé et la mémoire me revient par bribes.

Ils ont tué des gens innocents.

"Ne gâche pas tes balles", avait dit le compagnon du terroriste qui avait pointé son arme sur moi.

S'ils en avaient eu davantage, je serais sûrement mort...

***

Aux informations, le présentateur se contente d'une brève annonce : "Hier après-midi, des terroristes armés ont tenté d'attaquer brutalement le personnel médical dans un grand hôpital londonien. Ils ont échoué."

Je songe à l'infirmière qui baignait dans son sang. Sa mort est donc passée inaperçue ? Pas avec moi en tous cas. J'ai compris que la vérité sur mon passé était sûrement plus dure que je ne le pensais.

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