Chapitre 21 : le sacrifice

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"Et la mort n'aura pas d'empire.

Pas plus que les cris des mouettes n'atteindront leurs oreilles

Ou le déferlements des vagues les rivages;

Là ou s'ouvrait une fleur aucune fleur jamais plus

Ne dressera sa tête sous les coups de la pluie;

Bien qu'ils soient insensé et morts comme des clous,

Leurs têtes tels des marteaux enfonçant les marguerites;

Frapperont le soleil jusqu'a ce que le soleil s'écroule,

Et la mort n'aura pas d'empire."

Dylan Thomas.

Cette nuit là, Landley et moi rentrâmes très tard à l'internat. Un silence pesant avait envahi l'intégralité des lieux, et seule la faible lumière des étoiles éclairaient le château d'une fébrilité négligée. C'était comme si l'école avait cherché à nous faire part d'un secret qu'elle renfermait depuis trop longtemps déjà, un secret qui semblait sans cesse nous échapper lorsqu'il nous paraissait pourtant si proche, si atteignable. C'était comme si tout ce qui nous entourait ne serait à présent plus jamais semblable, comme si quelque chose de grave, de pesant s'était produit au cours de la nuit. En cet instant, nous sûmes presque instinctivement que c'était le cas, même si nous ne connaissions pas encore l'ampleur et la gravité qu'avait pris les faits.

Lorsque nous avions traversé les longs couloirs de pierres, une atmosphère inhabituelle s'était immiscée progressivement à l'intérieur de nos esprits, puis de nos corps qui ne nous répondaient plus. Nous étions silencieux, les sens en éveil, la tête encore remplie des images de la nuit follement incohérente que nous venions de passer. Mes vêtements étaient dans un sal état : ma jupe était trouée par endroit et maculée de tâches de boue qui avaient sans nul doute été causées par ma chute brutale sur le sol noueux du Damned Path. Chute au cours de laquelle j'avais sans doute laissé mes bottines marrons, car je venais de remarquer en un bref coup d'œil qu'elles avaient mystérieusement disparu de mes pieds pâles et frigorifiés au cours de la nuit. De plus, la peau fragile entrait en contact avec le sol de pierre froid et c'était une sensation des plus désagréables.

Il était tard, mais pourtant ni Landley ni moi n'étions fatigués. Nous marchions d'un pas lent, main dans la main, sans ne jamais lâcher celle de l'autre, de peur de couper cette connexion, ce lien qui s'établissait entre nos deux corps, entre nos deux âmes. Nous évitions de nous regarder pour plusieurs raisons, la première étant que nous n'en avions pas réellement la nécessité, car nous savions pertinemment que quelque chose se tramait dans le château en cette heure tardive, nous n'avions nul besoin d'en discuter pour confirmer cette vérité. Nous le sûmes dès l'instant où nous pénétrâmes dans l'entrée principale qui était éclairée de ses flambeaux, chose inhabituelle, et nos craintes se confirmèrent de plus belle lorsque nous vîmes que la grande porte du réfectoire était ouverte, et diffusait en son intérieur une faible lumière semblable à celle que produisait les étoiles au dehors, dans ce ciel de pénombre funèbre. Nous entrâmes à notre tour, remarquant avec impassibilité l'intégralité des élèves qui se trouvaient debout, au milieu des tables, faisant face aux professeurs dont les visages blafards semblaient bouleversés d'un chagrin qui n'était même pas descriptible. Ils n'exprimaient pas leur peine de façon semblable : Mrs. Templeton pleurait à chaudes larmes, essayant de se camoufler derrière l'épaule de Mrs. Chatterton qui affichait quand à elle un regard vide, lointain, un regard mort. La salle était bruyante, rempli des bruits des chagrins et des tristesses diverses.

Mon esprit empli par la fatigue et la lassitude semblait de pas vouloir réagir à ce qui m'entourait, je mis un temps fou à comprendre ce qui était entrain de se passer. Ce fut seulement lorsque je vis au loin une démarche familière, une silhouette que j'avais oublié, un visage rond encadré de lunettes carrés et grossières, qu'un déclique se produisit à l'intérieur de mon subconscient. Était-ce réellement lui ? Était-ce réellement John Keegan qui se trouvait là, devant les élèves dévastés ? Quand mes yeux rencontrèrent les siens, mon premier réflexe fut de lâcher la main de Jason afin de courir à sa rencontre. Ce dernier essaya de me rattraper, de m'appeler, de me retenir, mais il était trop tard, car je m'étais déjà faufilée à travers la foule d'élèves qui me barraient la route, glapissant, pleurant, s'étreignant pour se donner plus de force, plus de réconfort. Je passai à travers eux, tout en les écartant doucement, ignorant leur tristesse, posant ma main sur leurs épaules secouées de tremblements incontrôlés, puis vins rejoindre John dont les expressions du visage paraissaient en dire long sur ce qu'il ressentait en l'instant présent. C'était un mélange de fatigue, de tristesse, de haine, d'indignation, de perdition et de pleins d'autres noms qui dépassaient de loin notre source de vocabulaire. Mais ce qui me préoccupait le plus n'était pas son état, c'était sa présence et celle-ci ne pouvait signifier que deux choses.

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