Chapitre un

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Cette année-là, j'avais dix ans. Les saisons passaient comme un miracle pour nous, Élivágariens. Elles nous apportaient tout ce dont nous avions besoin : eau, glace, fleurs, fruits et le bétail. Tout nous était clément. Personne ne nous faisait la guerre ou ne nous demandait une quelconque aide. Pas même l'Empereur, cet homme sympathique qui était un fin stratège. Nous étions libres comme le vent, oubliés de tous, sauf de la nature.

Chaque jour dans le village, les enfants s'amusaient avec des bouts de bois ramassés dans la forêt d'à côté. Avec Lula, ma jumelle et meilleure amie, je les leur volais et les cachais sous un seau, derrière une maison ou même dans les paniers à linge. Cependant, on se faisait souvent gronder et c'en était presque drôle :

- Élysée ! Lulatschyveckée ! Venez tout de suite ici ! nous criaient nos parents.

- ... Désolées...

- Mince... Qui c'est déjà Élysée ? chuchota notre mère à Père.

- Celle qui a le dégradé blanc depuis les racines et noir au niveau des pointes des cheveux. Lulatschyveckée a le même dégradé-

- Mais inversé, coupa la mère.

- Maman ? Papa ? Vous marmonnez quoi ?

- À propos de votre punition, répondit-elle. Allons ne faites pas ces têtes... Vous allez aider Gémaldine.

Gémaldine était la femme célibataire et vierge du village. Elle faisait le linge, le nettoyait, le raccommodait et le redonnait aux familles respectives. Elle semblait agressive des fois, mais elle possédait un cœur d'or qu'elle ne montrait qu'aux enfants.

- D'accord !

Et nous repartions pour finir notre énième punition du mois. Les vieux du village nous aimaient bien, parce que les punitions les aidaient beaucoup, bien qu'on faisait des bêtises à longueur de journée.

On déboula dans les allées, les places et le marché toujours animé. Lula faisait des grimaces à tout bout de champ quand elle voyait un gamin rire d'elle. Mais reprenait vite son sourire quand passait un adulte ou un senior.

Le soleil brillait haut, les nuages se déplaçaient lentement, poussés par le maigre souffle, les oiseaux voletaient dans le ciel si clair et si illuminé par cet imposant disque solaire. Les arbres, les feuilles, les plans d'eau reflétaient cette lumière chaleureuse qui étincelait dans nos yeux et nous éblouissait amicalement. Les roses, les tulipes bleues, qui recouvraient les espaces étroits des pierres faisant office de sol, s'ouvraient, prise dans ce cycle bénin de la nature. Ce cycle qui nous liait tous dans l'égalité la plus profonde. Il n'y avait pas cette thèse que le Sage D. avait prononcé avant de mourir : « Dans ce monde, c'est la loi du plus fort. Les humains sont supérieurs à la nature, alors nous pouvons en faire ce qu'on veut, elle nous est esclave. » Notre peuple était bien le seul à avoir compris la fausseté dans ces propos depuis des décennies. Toutefois, aucune personne n'écoutait ce que disaient nos ancêtres, mais désormais, ce n'était plus notre problème.

- Gémaldine !

Une femme, debout, se retourna. Ses cheveux mi-longs, qui ressemblaient à l'écorce de bouleau, suivirent son mouvement en entourant son cou et cachant son œil qui nous fixait. Elle serrait dans ses mains un pantalon brun en toile de coton.

- Eh bien... Vous vous êtes fait encore grondés ?

- Oui ! sourit Lula.

- Vraiment..., souffla Gémaldine. Aidez-moi à tendre ces linges sur les fils.

Je m'empressai de prendre tout un panier et un escabeau. Lula me suivit entre les lignées de linges déjà posés. À tour de rôle, Lula et moi mettions les tissus mouillés au soleil. Quelques fois, on s'éclaboussait en essorant le linge et quand on riait trop, Gémaldine se ramenait avec le jet d'eau et nous poursuivait partout où on allait.

Seule Survivante : CommencementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant