Mardi 1er octobre 1940
Je suis née en 1927. Je vis en France, à Lyon, et je vais au lycée de jeunes filles. Je suis bonne élève puisque j'ai deux ans d'avance. Nous sommes plutôt précoces mon frère et moi. Lui a quinze ans, il s'intéresse beaucoup à l'actualité et, comme nous sommes très proches, je m'y intéresse également même si je ne saisis pas toujours ce qui est dit ou fait. Il m'arrive de ne pas comprendre ce qui se passe dans la rue lorsque je vais en classe ou rejoindre des copines. Je croise de plus en plus de personnes que je ne connais pas et que je n'ai guère vues auparavant. J'essaie de m'informer via des journaux dont je découvre les noms.
Je comprends enfin lorsque Lina intègre ma classe aujourd'hui, le 1er octobre 1940. Je suis sa première amie. Elle m'explique qu'elle a passé la ligne de démarcation à pied et qu'elle a « fait l'exode ». Pour moi, ce sont des mots inconnus. En rentrant de ma première journée de classe de l'année, je m'étonne de ne pas trouver mon grand frère à la maison. Mes parents, eux, travaillent. Mon père est cheminot. Ma mère est secrétaire à la Préfecture du Rhône. J'ai également une petite sœur dont ma mère s'occupe beaucoup lorsqu'elle n'est pas au travail. Ma sœur n'a que trois ans.
Lorsque mon frère rentre, ma première question est : « Mais, où étais-tu ?" Sa réponse m'interpelle : "J'étais au cinéma avec René et les nouvelles ne sont pas bonnes du tout, l'exode bat son plein. » Je l'interromps et lui demande : « L'exode ?! Qu'est-ce que cela veut dire ? Une de mes nouvelles camarades m'a dit ce matin qu'elle venait de faire l'exode, et qu'elle a passé la ligne de démarcation ». Je perçois dans son regard que ce que je viens de lui dire n'a pas l'air de l'étonner. Mon frère me serre dans ses bras tout contre lui, et me dit : « C'est affreux mais quel courage ! » Je lui rétorque sans réfléchir qu'il ne répond pas vraiment à ma question. Il me dit posément que cela est difficile à expliquer mais que, pour faire simple, ma nouvelle camarade et amie de classe avait fui sous les bombes la zone « occupée » par les Boches et franchi la ligne qui sépare les deux zones : la zone « occupée » et la zone « libre » .
Je suis toute décomposée par les explications données par mon frère. Au moment où il termine sa phrase, mon père rentre de l'atelier. Ce dernier me demande ce qui se passe. Alors je reprends le récit de Lina. Mon père n'est pas étonné non plus. Maman rentre à son tour. Pendant le dîner, mon frère raconte en détail les nouvelles de la zone occupée mais aussi celles provenant de Londres d'où le général de Gaulle, jusque-là méconnu, a appelé le 18 juin dernier à continuer le combat. Ce récit me coupe l'appétit. Je suis tellement choquée que je n'arrive guère à le restituer dans mon journal et ne trouve pas le sommeil. Il faut dire qu'au printemps, nous ne parlions pas ou peu des événements en famille.
Je pense à Lina, ma nouvelle camarade. Ce sont des centaines de questions qui me traversent l'esprit à cet instant en me tournant dans mon lit. Par laquelle vais-je commencer ? Je ne veux pas la blesser, ma grande crainte du moment. Elle a dû avoir tellement peur... Qu'a-t-elle vécue en zone occupée ? J'y pense tout le temps. Je reviens à la raison et réalise que j'ai de la chance d'être ici, à Lyon. Mais pour combien de temps encore ne serai-je pas inquiétée ? J'en saurai plus demain, enfin, si j'ai du tact pour aborder le sujet avec Lina.
Mercredi 2 octobre 1940
Ce matin, selon ma mère, j'ai l'air fatiguée. Remarque, ce n'est pas vraiment étonnant, je n'ai que peu dormi. Mon frère, lui, est encore choqué par les conditions de l'Armistice signé par le Maréchal Pétain avec l'Allemagne nazie le 22 juin dernier. Il a l'air inquiet. Mais pourquoi ? Pour qui ? Je n'en ai aucune idée. Que se passe-t-il dans notre beau pays de France ? Mon père, lui, me trouve trop jeune pour m'expliquer ce qui se trame dans cette France à genoux.
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Lyon, La résistance traboule - Tome 1: Journaux de Guerre
Historical FictionTout commence à la rentrée des classes d'octobre 1940. Tout va changer dans la vie de ma famille en moins d'un mois. Hormis mes cours et mes activités, mon journal est mon passe temps. Quand tout commence, je n'ai que 13 ans et pourtant, je suis au...