En première : rentrée dans la Résistance - Chapitre 6

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Jeudi 16 octobre 1941

Plus d'un an que je livre une partie de ma petite vie de lyonnaise entre ces lignes. C'est pour moi comme un refuge. Enfin, un refuge de fortune, croyez-moi ! Car en un an beaucoup de choses ont changé. Pour moi, la rentrée avait lieu il y a quinze jours ; elle était loin de ressembler aux précédentes. Je suis rentrée en résistance, plus que jamais déterminée. Revenons au lendemain de ma dernière lettre, ce qui nous ramène au 28 septembre. Le maréchal a inauguré la Foire de Lyon. Depuis l'Ancien Régime, ici à Lyon, les Foires qui avaient lieu autrefois quatre fois par an sont ou ont été un évènement économique majeur pour la ville. Pour en revenir à cette inauguration, le vieux maréchal était accompagné de l'amiral Darlan et de Lucien Romier, ministre d'État.

Il y a une dizaine de jours, six des sept synagogues parisiennes ont été dynamitées. Nous avons également appris que Pétain avait commué en peine de prison la peine de mort de Paul Collette qui avait tenté d'assassiner Laval et Deat.

Enfin, nous apprenons que Pétain a ordonné aujourd'hui même d'emprisonner les « responsables » de la défaite de juin 1940. Il s'agit donc de Blum, Daladier, Gamelin et Reynaud.

Jeudi 23 octobre 1941

Une semaine chargée dans tous les sens du terme ! La résistance, même discrète, est en action. Je peux dire que depuis le début la semaine deux commandants allemands ont été tués par la résistance FTP-MOI française, l'un à Nantes, l'autre à Bordeaux. Bien entendu, doutez-vous bien que cela n'est guère sans conséquences : plusieurs otages ont été tués en représailles. Quand cela va-t-il s'arrêter ? Si seulement quelqu'un le savait ou pouvait le savoir.

Jeudi 6 novembre 1941

Que dire hormis que le climat dans lequel nous vivons, ici, en France, à Lyon, à Grenoble et toute autre ville de la zone libre est plus qu'incertain ? Même entre nous, en famille, nous parlons peu pour nous protéger les uns les autres. Cependant mon frère m'a tout de même informée que son réseau a fusionné avec un autre. Aurait-il dû ne rien me dire ? Je n'ose lui poser la question. Moins les informations circulent, plus on est « protégé ». Enfin, c'est une sécurité qui n'en est pas vraiment une.

Pour ma part, je poursuis les missions qui me sont enfin confiées. Je fais tout de même acte de présence au lycée afin d'éviter les éventuels soupçons. Ce que je peux affirmer c'est que mes journées sont bien remplies. Malgré cela, je trouve bien souvent le sommeil avec difficulté.

Jeudi 13 novembre 1941

Une semaine riche en déplacements pour moi. Je connais mieux que jamais ma ville et sa région. J'ai dû transmettre en peu de temps plusieurs centaines de messages. Et puis, pour que vous puissiez vous rendre compte de l'effort physique que c'est, il faut savoir que Lyon se situe à proximité du massif des monts du Lyonnais. J'alterne selon les parcours que je dois emprunter pour mes missions entre vélo et marche à pied. Une fois ces missions quotidiennes terminées, je me rends à la Croix-Rousse pour retrouver ma fidèle amie Lina qui m'aide un petit peu à garder un niveau correct en classe. En première, le niveau est plus élevé que l'an dernier et si on l'additionne à mes activités extra-scolaires tout cela se complique. Je ne parviens plus à me concentrer, l'actualité peu réjouissante m'obsède, jour et nuit. Je manque de tout, de sommeil principalement.

Dimanche 23 novembre 1941

En dix jours, beaucoup de nouvelles politiques et militaires. Tout commence la veille de ma dernière lettre. Blum, Daladier, ancien président du Conseil, et le général Gamelin, ancien commandant en chef des armées françaises, sont internés par le gouvernement de Vichy dans un fort des Pyrénées. Je rappelle que tous les trois étaient arrêtés depuis l'été 1940.

Jeudi, ce même gouvernement a annoncé le retrait des responsabilités du général Weygand en Afrique du nord, cela en réponse aux pressions des autorités allemandes. Le lendemain le général Weygand est mis à la retraite d'office, à leur demande.

De plus en plus inquiète, je dévore toutes ces informations. Je prête de moins en moins attention à ma petite soeur, ce qui la déçoit et déçoit également beaucoup ma maman.

Jeudi 11 décembre 1941

Depuis quelques temps mes lettres sont de véritable billets d'information. Cela dit, elles correspondent aux temps actuels. D'écrire entre ces lignes me permet de m'évader un peu. Je m'auto-censure afin de me protéger mais pour combien de temps encore ? D'autant que les nouvelles de France ne sont pas vraiment bonnes. Je m'en explique : le lundi 1er décembre le maréchal Pétain a rencontré Goering à Saint Florentin (ne me demandez pas où c'est, j'ai cherché mais je n'ai pas trouvé) pour s'entretenir avec lui de l'avenir (tiens ! encore un mot qui résonne constamment dans ma tête : « avenir ». En avons nous un d'avenir ?) des relations franco-allemandes et l'intégration de la France dans « l'ordre nouveau » instauré par Hitler en Europe.

Jeudi 25 décembre 1941

C'est sans grand étonnement que le réveillon n'en était pas vraiment un. En effet, le jour de ma mère lettre, l'Allemagne et l'Italie ont déclaré la guerre aux Etats-Unis afin de soutenir leur allié japonais, suite à l'attaque de Pearl Harbour le 7 décembre dernier. Une lueur d'espoir brille dans mon esprit, dans l'attente que cela change le cours de la guerre.

Cependant, la pénurie continue. De plus, chaque membre de la famille est dans ses pensées. Je suis certaine que l'on pense tous à la même chose de manières différentes. Que doit-ont faire à part attendre ? Et, attendre quoi ? J'espère que l'année 1942 sera meilleure. Remarquez que peut-on espérer d'autre, surtout à mon âge?

Lyon, La résistance traboule - Tome 1:  Journaux de GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant