Routine militaire - Chapitre 3

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Mercredi 1er janvier 1941

Ici commence une nouvelle année mais, selon moi, une nouvelle page se tourne. Dites-moi, quand retrouverons-nous une vie paisible ? Pour la énième fois, que sera notre avenir ? Que nous réserve le gouvernement de Vichy ? Ne serions-nous pas en train de tomber dans ce que j'appellerais la « routine militaire » ? Et si oui, pour combien de temps ?

Avec tout ça, je nous ai pas raconté « mon » Nouvel An. Lina m'a beaucoup manqué. Ainsi va la vie. Elle donnait son concert, je suis donc restée à la maison avec mes parents, mon frère et ma jeune soeur. L'absence de Louis a su se faire ressentir. Il est loin le temps des « festins » modestes des fêtes de fin d'année en famille. Je crois avoir tout dit pour aujourd'hui. Dès que j'en aurai la possibilité je vous ferai savoir les nouvelles.

Lundi 20 janvier 1941

J'ai dû reprendre la classe. Ce fut assez chargé par les examens. Je craignais une routine militaire et bien, hélas, j'avais vu juste. On est bien parti pour cela. Pour commencer, le 7 janvier l'amiral Karl Donitz a pris le commandement des appareils allemands de reconnaissance basés à Bordeaux. Le 13 janvier dernier, la base sous-marine de Lorient a été bombardée par la RAF dans la nuit. Pour en venir à avant-hier, le vieux maréchal Pétain a rencontré Pierre Laval pour « dissiper » les malentendus qui ont conduit aux évènements du 13 décembre dernier.

Lundi 10 février 1941

En ce début du mois de février, la fichue routine militaire se poursuit. Avant-hier j'ai assisté de loin à une arrestation. C'était la première fois que je voyais cela de ma vie. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je n'ai réalisé qu'hier matin en me réveillant. Je me demande encore pourquoi ces personnes s'étaient fait arrêter, même si je peux m'en douter. Pendant ce temps, nous, ma famille et moi-même continuons, écœurés par les évènements, à vivre nos petites vies de lyonnais comme nous le pouvons. Je vois bien que mon frère et mon père préparent avec des collègues ou camarades une ou des actions contre le gouvernement collaborateur de Vichy. Quelles sont les nouvelles ? La radio annonce que le gouvernement a livré à la Gestapo deux anciens ministres allemands. Lundi dernier, 3 février, l'amiral Joseph Darnan, ministre de la Marine de Vichy, et Pierre Laval, ancien président du Conseil, ont rencontré Otto Abetz, ambassadeur allemand en poste à Paris. Celui-ci leur a proposé de faire rentrer la France dans « l'ordre nouveau » qu'Hitler a décidé d'instaurer en Europe. A mon grand regret ainsi qu'à celui de ma famille, l'amiral Darnan et Pierre Laval sont convaincus de collaborer plus étroitement avec la Gestapo dans la lutte contre la Résistance, ce qui me donne à moi davantage envie d'y entrer.

Vendredi 28 février 1941

Je n'ai guère de bonnes nouvelles. Tout le mois a été ponctué par cette routine militaire peu réjouissante. Dès le lendemain de ma dernière lettre, il y a eu du nouveau. Darnan est nommé à la fois vice-président du Conseil, successeur et remplaçant du maréchal Pétain, commandant en chef de la Marine, ministre des Affaires étrangères et de l'information. De pire en pire, mes voisins Maria et Fernando apprennent que le maréchal Pétain a rencontré les 13 et 14 février le général et dictateur espagnol Francisco Franco, à Montpellier. Trois jours plus tard, l'amiral Joseph Darnan reçoit un nouveau portefeuille, celui de l'Intérieur. Enfin, le 23 février Pierre Pichet est nommé secrétaire d'Etat à la production industrielle du gouvernement de Vichy.

Lyon, La résistance traboule - Tome 1:  Journaux de GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant