Charnière - Chapitre 8

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Dimanche 19 avril 1942

Peu de nouvelles depuis le mois dernier. Le printemps semble avoir fait son apparition à Lyon. Il m'est agréable de me « promener », enfin me déplacer, dans la ville puisque je dois dire que rares sont mes sorties ressemblant à une promenade. Afin d'éviter tout soupçon sur mes activités de plus en plus intenses et ayant toute confiance en ma camarade, Lina est devenue ma « suppléante », en accord avec Bernard. Je reste admirative du courage et de la détermination dont fait preuve celle que je considère sans aucun doute désormais comme une grande soeur : Lina ! D'autant plus que dans le travail nous ne sommes pas trop de deux.

Depuis 9 jours, j'ai 15 ans ! Je l'avais presque oublié. Le temps passe si vite quand je pense à tout ce que j'ai déjà vécu à seulement 15 ans. L'eau coule sous les ponts du Rhône et de la Saône, sous mes yeux, d'autant plus vite qu'en vingt jours beaucoup de choses se sont passées. En zone occupée ça bouge !

Dans la nuit du 1er au 2 avril, 34 Wellington et 22 Hampden du Royal Air Force Bomber Command s'en sont pris au port du Havre. Durant la même nuit, 24 Whitney et 17 Wellington bombardaient l'usine Ford de Poissy en région parisienne. Depuis cinq jours, Pierre Laval dirige le gouvernement de Vichy, bien que ça ne soit qu'hier qu'il en ait été nommé le chef.

Quant au procès Riom débuté le 19 février dernier, il a été suspendu le 15 avril. Enfin, j'ai appris que le 17 de ce mois le gouvernement de l'Amiral Darlan avait démissionné. L'ambassadeur américain à Vichy, William Leahy, a été rappelé pour consultation à Washington.

Jeudi 30 avril 1942

William Leahy voit sa femme mourir d'une embolie le 21 avril 1942. Il y a cinq jours Pellepoix, a succédé à Xavier Vallat et assure les fonctions de commissaire général aux questions juives.

Enfin cette nuit 73 Wellington, neuf Hampden et 6 Stirling Royal Air Force Bomber command visent l'usine aéronautique de Gnome et Rhône de Paris-Gennevilliers.

Vendredi 1er mai 1942

Grosse journée pour moi aujourd'hui car, à Lyon, une grande manifestation organisée par la Résistance a rassemblé des dizaines de milliers de personnes. J'y suis allée et j'y ai d'ailleurs croisé mon frère. Il avait l'air très en colère de m'y voir. Par ailleurs, j'ai appris que William Leahy, l'ambassadeur américain, à Vichy a démissionné.

Ce rassemblement, ici, à Lyon aujourd'hui, me fait dire que Lina et moi allons avoir certainement beaucoup de travail. Il me tarde de me rendre utile. De ce que je sais, certains Français en zone occupée (mais c'est loin d'être le cas de ma cousine en Normandie) s'accommodent de l'occupant. Même à quinze ans, cela je n'arriverai jamais à comprendre ni comment, ni pourquoi pareille chose est possible. Notre chef, Bernard, risque sans aucun doute d'avoir beaucoup de mes messages désormais dans sa boîte aux lettres, et d'autres encore à faire passer. Il est très clair que nous manquons d'agents de liaison. D'après EX.20 nous ne sommes, nous les lyonnais refusant la défaite, pas assez prudents.

Vendredi 8 mai 1942

Ces derniers jours ont étés chargés. Près de Diego Suarez (Madagascar), le 5 mai, les forces britanniques escortées par un cuirassé et deux portes-avions sont arrivées. En ce qui concerne le 6, j'en parlerai plus tard lorsque j'en saurai plus. Enfin ce midi lors de mon rendez-vous au restaurant avec Bernard, ce dernier m'a appris qu'hier les autorités vichystes de Madagascar se sont rendues aux troupes britanniques présentes sur place.

Lundi 1er juin 1942

Près d'un mois sans nouvelles, ce n'est pas faute de ne pas vous avoir prévenus. Beaucoup d'aller-retours, entre les billets à mettre dans diverses « boîtes » aux quatre coins de la ville voire de sa région, les réunions géographiquement dispersées qui se transforment souvent en repas aux allures conviviales, sans oublier les cours au lycée où la concentration n'est présente chez personne à l'approche des vacances mais surtout des examens. Les professeurs sont, malgré leur discours, très attristés par les derniers évènements qui ont marqué le mois de mai. Il s'agit de déportations de membres de la Résistance capturés. Quel sera leur sort ? Cette triste nouvelle, du haut de mes quinze ans, ne me refroidit en rien, bien au contraire, je ne suis seulement que plus prudente chaque jour.

Mardi 23 juin 1942

Approximativement deux semaines sans pouvoir écrire. Pourtant toi, et toi seul, me reste réellement fidèle. Alors je vais te dire, toi, journal, tu en as du mérite à me supporter ! Il semblerait que le gouvernement de Vichy annonce dans un discours radiodiffusé qu'il souhaite une victoire de l'Allemagne, seul moyen selon lui d'échapper au bolchévisme. Nous ne savons pas exactement qui a parlé. À Lyon, Régis s'est récemment entouré de CRAB major qu'il avait précédemment rencontré à Londres. Celui-ci est en rapport avec Bernard, Sif et Charvet. Pour ma part, j'ai enfin appris à me servir d'une machine à écrire, mais l'inconvénient c'est qu'elle est si bruyante que je n'ose m'en servir pour le moment. De toute façon, pour le moment, je n'en ai pas reçu l'ordre.

Mon frère, lui s'en sert régulièrement, enfin de la machine qu'il avait cachée sous son lit. Elle aussi fait beaucoup de bruit. Par chance il s'en sert en général lorsqu'il n'y a personne dans l'immeuble, enfin parfois j'y suis mais dans ce contexte ma présence ne compte pas. Dans ces moments-là il me demande de tendre l'oreille malgré le bruit de la machine afin de l'alerter du moindre danger qui pourrait survenir. Alors, je coupe généralement mon souffle et ma respiration. Je me rappelle ce que me répètent assez souvent mes professeurs : que le pire reste encore à craindre ou bien encore « N'oubliez pas les filles, nous sommes en zone libre» en s'adressant généralement à Lina et moi. 

Lyon, La résistance traboule - Tome 1:  Journaux de GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant