Samedi 7 novembre 1942
Revenons à ce qui se passe. Il y a trois jours, le gouverneur français a renouvelé sa demande d'armistice aux Britanniques, en acceptant les conditions qu'il avait pourtant refusées le 17 septembre. Je n'en sais pas plus. L'avenir, l'avenir encore l'avenir, ne me rassure pas. Il faut savoir que maintenant, Kim W. étant trop surchargé, on commence à me confier le déchiffrage des télégrammes malgré la réticence de Londres qui ne veut travailler qu'avec des volontaires formés sur place. Que se passera-t-il ?
Avant-hier, à plusieurs endroits il y a eu de l'action. Ce qui m'a donné pas mal de travail. Pour commencer en Algérie, à l'issue d'une tournée d'inspection, l'amiral François Darlan, Commandant en chef de l'armée coloniale de Vichy, se rend à Alger au chevet de son fils malade. A 14 heures les troupes françaises de Vichy ont capitulé à Madagascar face au troupes britanniques.
En France, je ne saurai décrire le climat dans lequel on vit nous aussi. On m'a envoyé un télégramme à déchiffrer pour Kim au sujet d'un sous-marin britannique, mais il m'a été impossible de le déchiffrer en totalité.
Beaucoup de travail m'attend ce mois-ci. Aurai-je le temps de m'exprimer ici aussi régulièrement que j'en ai l'habitude ? Je ferai mon possible, puisqu'écrire me parait désormais vital.
Dimanche 8 novembre 1942
Grosse journée et plutôt de bonnes nouvelles. En effet ce matin je me suis réveillée comme d'habitude pour aller au lycée. Mon frère, déjà debout, avait un sourire que je ne lui connaissais pas, du moins que je ne lui connaissais plus depuis pas mal de temps. Lui qui ne me disait plus grand chose était subitement si pressé de me voir et de me parler aujourd'hui. « Kat ! Bien dormi? » me dit-il avec enthousiasme. « Comme d'habitude » répondis-je. « Kat ! C'est le début de la fin pour Vichy en Afrique du Nord ! ». J'étais toute abasourdie. Je ne lui ai rien répondu pensant que mal réveillée et que je rêvais. Ne me voyant pas réagir, il répète : « Oui, les Alliés ont débarqué en Algérie et au Maroc ! ». Je réalise que je vais avoir une masse de travail supplémentaire plus tôt que ne pouvais le penser encore hier. Dans ces moments, je retrouve un peu d'espoir.
Lundi 9 novembre 1942
Je m'étonne moi même. Je ne me pensais pas aussi bavarde. Je pensais surtout ne pas trouver le temps d'écrire ce soir. Je partage les bonnes nouvelles militaires avec mon frère avec qui j'ai créé de nouveaux liens, bien différents. Des liens d'adultes.
En Afrique du Nord, le général Giraud est arrivé aujourd'hui à Alger avec un jour de retard. J'ai également appris par un télégramme que l'amiral Darlan a décidé une « suspension des armes » pour la zone d'Alger. Dans un autre télégramme, je déchiffre : « première armée britannique constituée sous le commandement du général Kenneth Anderson ». Il a pour mission d'empêcher les troupes allemandes d'occuper leurs objectifs qui semblent être Tunis et Bizerte. De mauvaises nouvelles sont aussi annoncées, tout ce que je peux en dire c'est que cela concerne la Marine dans la Méditerranée. Laval, de son côté donne la permission aux troupes allemandes d'utiliser les aérodromes tunisiens.
Mardi 10 novembre 1942
Ce matin, j'ai trouvé le temps de me reposer et de passer un peu de temps avec Ania. Elle grandit tellement vite, parfois j'ai l'illusion qu'elle grandit à des milliers de kilomètres de moi mais pourtant pas du tout. Au déjeuner dominical que j'avais jusque là l'habitude de prendre en famille, on comptait un absent : mon père dont je suis sans nouvelles depuis que son nom figure parmi les « appelés » de l'atelier.
Vers 16 heures, je retrouve Angélique et Bernard qui nous annonce que la ville d'Oran a capitulé à midi et demi, « libérée » par les Américains.
Mercredi 11 novembre 1942
Au petit matin la Wehrmacht a franchi la ligne de démarcation et envahi la zone sud à l'ouest du Rhône et les Allemands ont rapidement occupé la place des Terreaux. Il n'était que 9 h 40. À l'est du Rhône, l'armée d'occupation est italienne. Ce matin, je me demande réellement si l'avenir peut être pire. L'espoir n'est pas totalement perdu. En Afrique du Nord les Alliés progressent.
Jeudi 19 novembre 1942
Comme je le pensais, pas eu le temps d'écrire depuis huit jours. Je vais essayer de faire court, Il y en aurait tellement à dire... Le 12 j'ai eu quelques messages à transmettre au sujet de l'Afrique du Nord. Le même jour, le Dr Jean Rousset, responsable des Services secrets anglais à Lyon est arrêté par la Gestapo. Le lendemain, le 13 donc, le Général Dwight D. Eisenhower s'est rendu de Gibraltar à Alger pour y rencontrer l'Amiral Darlan. Un convoi allié a débarqué à Bône que je ne sais situer sur une carte. Le 15 novembre, je suis informée que la veille, les Italo-allemands ont encerclé la base de Toulon dans laquelle est stationnée la flotte française d'Armistice. Les Français sentent qu'un « coup de force » allemand se prépare.
Ce même 15 novembre le Général Henri Giraud, résistant, prend le commandement des forces françaises d'Afrique du Nord.
Le lundi 16 novembre je reçois le message suivant : « premiers combats entre détachements français/allemands à Oued Zarga Mateur et sur route Beja Djebel Ablod ».
Avant hier, 17 novembre, l'amiral François Darlan, capturé par les Alliés et forcé de changer de camp accepte, sous la contrainte, le ralliement des forces françaises d'Afrique du Nord aux côtés des Alliés et, avec lui, des dirigeants de Vichy présents sur place, ce qui lui vaut d'être accusé de trahison et destitué par le maréchal Pétain. Hier le vieux maréchal confie les pleins pouvoir à Laval et en fait son Dauphin. Ce même jour plusieurs ministres, deux ou trois, démissionnent.
Mercredi 25 novembre 1942
Au lendemain de ma dernière lettre, comme beaucoup de Français, j'entends le discours radiodiffusé de Laval dans lequel il apporte une fois de plus son soutien à l'Allemagne qui, selon lui, gagnera la guerre. Ce qui évitera, selon ses propos, d'être gouverné par des « communistes et / ou des juifs ». Le 21 en Algérie, l'annonce parvient que le Maréchal Pétain n'est plus libre et c'est donc l'Amiral Darlan qui est nommé Haut commissaire de l'Etat français. Il forme un « Conseil impérial » avec les dirigeants de Vichy sur le territoire d'Afrique du Nord. Pendant qu'en France Joseph Darnand appelait à la création d'une phalange africaine pour reconquérir l'Afrique du Nord aux côtés des Allemands. Avant-hier le GQG des Forces alliées en Méditerranée a été déplacé de Gibraltar à Alger, pendant qu'au Sénégal les Alliés ont occupé Dakar sans effusion de sang. Enfin, en France, la base sous-marine allemande de Saint-Nazaire est bombardée par les Américains.
Depuis que les Allemands ont passé la ligne de démarcation, il me faut être davantage prudente. Je ne devrais pas le dire ici, mais où le dire ? Pourvu que personne de mal attentionné tombe sur ce petit carnet rouge qui depuis octobre 1940 à autant de valeur, voire plus, que ma ration alimentaire quotidienne. Je peux comprendre que cela surprenne. J'ai appris par un ouvrier de l'atelier que papa a pu s'échapper en sautant du train qui devait le conduire à priori en Allemagne. Par contre j'ignore où il se trouve, et l'ouvrier aussi.
Dimanche 29 novembre 1942
Avant hier, j'ai été informée en fin de matinée qu'à Toulon, sur le coup de 4 h du matin, plutôt que de tomber aux mains des Allemands, la flotte française d'armistice du gouvernement de Vichy s'est sabordée dans sa quasi totalité, dans un premier temps de sa propre initiative puis, dans un second temps, sur ordre de son commandant, l'Amiral Jean de Laborde. 90 navires ont été détruits.
Ce même jour, j'ai eu pas mal de liaisons à faire pour pouvoir permettre aux radios de faire partir et recevoir des télégrammes. D'autant qu'ici à Lyon a eu lieu la première réunion du Comité de Coordination des mouvements de la Résistance de Zone Sud, à laquelle Bernard était présent. L'empire français AOF quant à lui se rallie aux Alliés.
A deux jours d'intervalle, deux journaux majeurs cessent de paraître ou sont suspendus : Le Figaro, le 26, et hier 28 novembre cela a été tour du journal Le Temps à la suite d'un article en hommage aux marins de Toulon qui lui a été refusé par la censure.
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Lyon, La résistance traboule - Tome 1: Journaux de Guerre
Ficción históricaTout commence à la rentrée des classes d'octobre 1940. Tout va changer dans la vie de ma famille en moins d'un mois. Hormis mes cours et mes activités, mon journal est mon passe temps. Quand tout commence, je n'ai que 13 ans et pourtant, je suis au...