Lundi 16 décembre 1940
Les nouvelles tombent au compte goutte. Pas grand chose excepté vendredi, en rentrant du lycée : j'ai appris que le maréchal Pétain avait fait arrêter Pierre Laval, le remplaçant par Pierre-Etienne Flandin. Ne m'en demandez pas la raison, je l'ignore. Je compte bien en savoir plus en lisant les journaux.
Samedi nous avons décoré de façon très modeste la maison avec mon frère et mes parents, même si nous n'avons pas vraiment le coeur à fêter Noël cette année. Nous n'avons pas installé un sapin près de la cheminée, comme nous le faisions tous les ans. Je me sentais mal à l'aise comme si nous ne devrions pas le faire, sans vraiment savoir pourquoi. Un pressentiment sans doute. Je vois bien que les parents et mon frère essayent de dissimuler leur inquiétude qui grandit de jour en jour. Hier, je n'ai pas fait grand chose, j'ai juste fait le ménage et du rangement. Pas très intéressant mais enfin cela reste une tâche indispensable, non ? Mon frère, lui, est sorti. Il devait retrouver René et son père. Je n'en sais pas plus. Je devais le suivre il y a quelques jours mais maman n'a pas voulu, je devais garder ma petite soeur. Pas toujours drôle de n'être ni la première ni la dernière, n'est-ce pas ? Surtout lorsque tu es une fille.
Venons-en à aujourd'hui. Bien. Il y a du neuf en France. Vendredi dernier, le Maréchal Pétain a fait arrêter Pierre Laval et aujourd'hui l'Ambassadeur d'Allemagne, Otto Abetz, s'est rendu à Vichy pour le libérer et le ramener à Paris. Pour quelle raison, ça aussi je l'ignore. Assez étrange comme nouvelles. Je ne comprendrai donc jamais les politiciens ? Sans doute suis-je simplement trop jeune.
Jeudi 26 décembre 1940
Comme je l'avais pressenti, drôle de réveillon cette année. On ne réalisait presque pas que c'était Noël. Il manquait mes cousins et mes grands parents paternels avec qui nous passions cette fête auparavant. La maison était vraiment vide pour cette occasion. Bref, hormis ma petite vie de lyonnaise sans trop d'importance, nous avons été informés le soir du réveillon que Hitler a rencontré, près de Beauvais, l'amiral François Darlan qui lui a affirmé que le renvoi de Pierre Laval est une affaire purement intérieure. Bien évidement, nous n'en connaissons toujours pas la raison. Nous ne la connaîtrons sans doute jamais, à moins que cela intéresse un historien dans quelques décennies. Je ne me fais trop d'illusions, cela vaut mieux.
A cinq jours de la nouvelle année. Comment va-t -elle se terminer ? Je n'en ai aucune idée et papa dit qu'il ne faut pas y penser. Plus facile à dire qu'à faire croyez-moi, surtout pour une fille comme moi, de nature plutôt curieuse.
Dimanche 29 décembre 1940
Aujourd'hui, avec mon frère nous sommes un peu nostalgiques de notre « vie d'avant », cette vie d'adolescents qui était la nôtre encore l'an dernier. Ce temps me parait déjà si loin et pourtant en réalité est si proche. Ça y est, je parle déjà comme une personne âgée. Cette nostalgie nous amène à sortir le tourne-disques que mon frère s'était offert pour son anniversaire. Il se l'était acheté avec l'argent qu'il avait reçu en échange de l'aide qu'il apportait occasionnellement à l'atelier dans lequel papa travaille. Il a sorti quelques un de ses disques dont celui de Charles Trenet qu'il aimait tant écouter avant guerre. Aujourd'hui, pour lui comme pour moi, le plaisir d'écouter ce disque nous semble amer. Charles Trenet serait vichyste.
Pourtant en l'écoutant, je me surprends à « rêver » de Paris, une ville dans laquelle je n'ai jamais mis les pieds et où je ne me rendrai peut-être jamais. Il faut être réaliste même si c'est bien de rêver un peu, surtout en ce moment.
Mardi 31 décembre 1940
Rien de bien nouveau, aujourd'hui, veille du premier de l'an, jour aussi mort que celui de Noël. Nous aurions dû être chez Louis, le meilleur ami de mon frère. Son père était un ami de longue date du nôtre. Je demande si nous avons de ses nouvelles. « - Oh, il est probablement à Londres. Il avait l'intention de rejoindre une légion constituée sous les ordres du général de Gaulle ». Ce Nouvel An sera donc solitaire. Mon frère me dit : « Tu sais, je serais bien parti avec lui mais les parents s'y sont opposés ». Je demande alors à ma maman : « On peut inviter Lina ? » « - Oui, si elle le souhaite. » Je prends donc mon manteau accroché près de l'entrée, je l'enfile rapidement. Je claque la porte avant de dévaler l'escalier et déambuler à travers les traboules, d'abord du Vieux Lyon puis celles de la Croix-Rousse. Je me rends chez Lina. Judith, sa tante, m'ouvre, étonnée de me voir. En jeune fille bien éduquée, je lui demande si je dérange. Elle me répond que non mais que Lina prend des cours de musique au conservatoire de Lyon et que d'ailleurs elle joue ce soir. Je la remercie chaleureusement et rentre un peu déçue chez moi. Ma déception passée, je m'installe dans la chambre de mon frère pour ne pas déranger ma petite soeur qui somnole déjà dans son lit. C'est dans cette pièce que j'affectionne de plus en plus que j'écris aujourd'hui. Cette fois-ci nous n'écoutons pas de musique mais en quelques secondes plein de choses traversent mon esprit. Vendredi, je vous ai parlé de la famille de mon père, des mes grands parents paternels et de mes cousins qui d'habitude viennent passer Noël avec nous chaque année. Mais je ne vous ai pas parlé de la famille de ma mère. Elle habite et en zone occupée, cela fait plusieurs mois que nous ne recevons plus de nouvelles. Cela doit être dû à la censure mise en place par l'occupant. Parfois je me demande ce que fais ma cousine du même âge...
Au début de ma lettre, je disais qu'il n'y a rien de nouveau. Mais si. Aujourd'hui, j'ai appris que la Royal Air Force a effectué des raids sur les aérodromes de Bretagne le 26 décembre dernier. Quelles sont les tactiques militaires, là aussi je suis dans l'ignorance. Mes journées passent et se ressemblent sans vraiment se ressembler... Cela peut paraître contradictoire, je le reconnais, cependant je ne sais pas comment l'exprimer autrement.
VOUS LISEZ
Lyon, La résistance traboule - Tome 1: Journaux de Guerre
Historical FictionTout commence à la rentrée des classes d'octobre 1940. Tout va changer dans la vie de ma famille en moins d'un mois. Hormis mes cours et mes activités, mon journal est mon passe temps. Quand tout commence, je n'ai que 13 ans et pourtant, je suis au...