Formalités

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« Benjamin Guy Manfred de Saint-Roc ?

L'image a changé sans transition. Il y avait Steilman et la vague. Ils n'y sont plus. Ben est dans un endroit ensoleillé. A ciel ouvert. En face de lui se trouve comme un gigantesque nid dont les brindilles auraient été remplacées par des ossements. Au centre une créature immense, humanoïde à tête d'hirondelle, répète avec un léger soupir agacé :

‒ Benjamin Guy Manfred de Saint-Roc ?

Malgré le choc, Ben finit par reconnaître l'énoncé de son nom complet. Il hoche maladroitement la tête.

‒ Ça veut dire oui ? questionne l'homme-hirondelle.

Il a penché la tête de coté. Son bec et ses petits yeux ronds et noirs ne sont pas propices à transmettre des sentiments humains, mais sa posture et son agacement évoquent irrésistiblement un bureaucrate pressé devant un dossier mal préparé.

Ben répond « Oui » d'une toute petite voix. Il croyait avoir atteint le sommet de la terreur lorsque le couteau lui avait fracassé le front. Il s'aperçoit qu'il y a encore pire. Mais il n'a plus tellement peur. Il y a une limite à la quantité d'horreur qu'un corps humain peut accepter avant de se mettre en stand by.

Et il est clair pour Ben qu'il est brusquement devenu fou. Sans doute à cause du couteau. C'est le genre d'objets qui fait du dégât dans un cerveau. Au moins, Ben est encore assez vivant pour être fou. C'est mieux que rien.

Pendant ce temps le bureaucrate regarde le papier qu'il tient dans les mains en secouant la tête avec dégoût – décidément un dossier très mal préparé – et s'assoit dans son nid d'os. Malgré sa taille, Ben ne peut plus distinguer autre chose que le sommet emplumé de sa tête. Il ne sait pas quoi faire. Le soleil tape fort et Ben essuie machinalement la sueur qui lui coule du front depuis qu'il est arrivé...

Ses doigts sont rouges. C'est du sang qui lui coule du front en flots incessants.

« Je suis fou, se répète fermement Ben, mais on va me soigner et je retrouverais la réalité. Et au moins je ne suis pas mort. »

Un boucan d'enfer le fait sursauter. Il regarde partout autour de lui mais ne distingue que des dunes d'un blanc pur à perte de vue. Le bruit ressemble à des centaines de chevaux qui courent sur des plaques de bronze... Et il se rapproche de plus en plus. Ben se plaque les mains sur les oreilles et se plie en deux. Il crache un peu d'eau de mer sans s'en rendre compte. Plus rien ne compte que ce martèlement...

Ses oreilles résonnent encore lorsque le bruit cesse. Il relève la tête. Il se trouve dans une ombre. L'ombre d'un géant recouvert de grelots. Qui sourit. Les yeux de Ben ne montent pas plus haut que ce sourire.

Lorsqu'on rencontre quelqu'un qui a des dents pareilles et qui les montre avec autant de plaisir, on ne va pas jusqu'à croiser son regard. On se fait tout petit et on se concentre pour tenter de disparaître.

‒ Alors ? demande jovialement le nouveau venu à la voix métallique. Il est à moi ?

‒ Ce n'est pas clair, signale l'homme-oiseau. Il a également périt noyé. Fulmur peut légitimement le réclamer.

‒ Ah ! Qu'il essaye !

L'homme aux grelots a vraiment l'air de follement s'amuser. Pas Ben qui n'aime pas du tout cette conversation. Surtout le passage où on parle de sa mort.

‒ Je ne suis pas mort ! proteste-t-il faiblement.

Personne ne l'écoute. Au moins une chose qui ne change pas comparé à son ancienne vie – celle qui avait un sens. Ben essuie de son mieux le sang qui lui dégouline sur les yeux et décide de prendre la tangente.

Au-delàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant