Un peu d'exploration

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Il est un peu sonné. Mais va étonnamment bien étant donné la hauteur dont il vient de tomber. Incrédule, il fixe du regard les dunes blanches qui lui font face, si loin au-dessus de lui qu'on croirait voir des nuages dans le ciel...

D'ailleurs, un prudent tour d'horizon confirme que c'est bien du ciel qui entoure ces étranges agglomérats de poudre blanche. Du ciel un peu mauve, mais qui est soigneusement collé à l'horizon dans le lointain. Comparé à ce qu'il vient de voir, Ben trouve ce ciel tout à fait valable.

Il se redresse en grimaçant à l'avance de la douleur qu'il s'attend à ressentir. Mais non. Le monde tangue un peu lorsqu'il tente de se remettre sur ses jambes puis tout va bien. En fait, Ben s'est rarement senti aussi en forme de sa vie. Une preuve de plus pour lui qu'il est en train de rêver.

Il est tombé dans une grande plaine, cernée d'un coté par des montagnes et de l'autre par la mer. Cette vue quasi-illimitée le perturbe sans qu'il parvienne à mettre le doigt sur ce qui cloche.

Brusquement il réalise qu'il n'y a pas la moindre habitation en vue, ni même quoi que ce soit qui indiquerait une présence humaine. Il est seul au monde. Débarrassé des cinglés qui veulent le soumettre aux travaux forcés, mais seul.

Ben prend une grande inspiration, s'essuie le front et se met en route.

Il progresse un peu à l'aveuglette, n'ayant aucun point de repère assez stable pour être certain de ne pas tourner en rond, il tente juste de garder les montagnes à sa gauche et la mer à sa droite, qu'il rebaptise arbitrairement ouest et est.

Après toutes ses aventures, cette marche paisible lui fait du bien. Il se repasse en boucle les évènements et réfléchit à ce qui lui est arrivé. Il parvient toujours à la même conclusion – il est vivant mais fou – mais ça l'occupe. Et une fois éloigné des monstres, la panique s'enfuit, ce qui est déjà un soulagement.

Peu à peu il distingue une silhouette qui pourrait bien être humaine. Il court jusqu'à elle sans hésiter. Oui, c'est une femme, assise sur un rocher, une femme qui parait pourvue de tous les accessoires propre à son espèce, qui n'a aucun membre en moins ou en plus, une humaine parfaitement normale. Sourire aux lèvres, Ben s'approche et lui dit :

« Bonjour ! Excusez-moi, est-ce que vous savez où...

‒ Il y a trois temps qui s'emmêlent et l'oubli en est la colle ainsi les titans ne peuvent détruire le fil ni le couper car ils sont pris dans sa trame...

Ben écoute quelques minutes, les yeux ronds, ce discours insensé. Avec un certain cynisme, il se demande même pourquoi il est étonné. La femme fixe l'horizon de toute la puissance de ses yeux aveugles et passe d'un sujet à l'autre brusquement. Elle annonce même :

‒ Le brouillard gagnera l'ensemble du pays à l'exception de la Bretagne et l'Aquitaine. Les températures pour la matinée sont...

Avec un haussement d'épaule Ben l'abandonne à son sort. Il se retourne plusieurs fois. Elle ne bouge pas de son rocher et à voir le mouvement de ses lèvres elle continue à parler. Il soupire. Tant qu'à être confiné dans son propre délire, il l'aurait préféré agréable.

Il continue son chemin dans la lueur douceâtre du soir qui tombe lentement, jusqu'à ce qu'il tombe sur un sentier qui serpente entre les hautes herbes. Soulagé de trouver une trace même infime de ce qui pourrait bien être la civilisation, il le suit.

Le sentier s'épaissit jusqu'à dessiner un chemin puis une véritable route en terre battue. Ben se met à courir.

Il arrive face à un arbre immense émergeant d'un étang. L'arbre n'a pas de tronc, il est divisé dès sa base en branches qui se divisent à leur tour jusqu'à former de fins filaments dont extrémités qui flottent au gré du vent en une délicate chevelure.

L'arbre est également dépourvu de la moindre feuille. Lui et son reflet dans l'eau calme ressemblent à une étoile de bois. Le spectacle ne manque pas d'intérêt mais ce n'est pas vraiment ça que cherche Ben qui se détourne.

« Et bien ? demande une voix grave et profonde. Tu t'en vas déjà, sans même dire bonjour ?

‒ Hein ? Qui a parlé ?

La voix rit doucement avant de dire :

‒ On m'appelle parfois l'Arbre qui Répond. Ce nom me conviendra bien le temps de notre petite discussion, je pense.

‒ Mais que... Comment est-ce que c'est possible ?

‒ Oh, voilà une grande question qui implique une réponse longue et complexe. Ceci dit, étant donné ton niveau de connaissances de physique quantique, de biologie, de théologie et de méditation, j'ai bien peur qu'elle ne te soit à jamais inaccessible. Ne préfères-tu pas profiter de ma présence pour me poser des questions plus utiles ?

‒ Heu... Où est-ce qu'on est, ici ?

‒ Sur l'un des territoires de l'au-delà.

‒ Mais je ne suis pas mort !

‒ Si. Il te reste beaucoup de choses à découvrir pour t'en sortir et très peu de temps. Pose-moi les bonnes questions.

‒ Me sortir de la mort ? Mais comment est-ce qu'on peut se sortir de la mort ?

‒ La mort n'est que l'autre coté de la vie. Approche.

Ben est plus choqué par les paroles de l'arbre que par tous les coups qu'il a subit depuis la folie de Steilman. Il s'avance d'une démarche titubante d'homme ivre. Il n'hésite même pas avant de poser le pied sur l'eau.

Contrairement à ce à quoi il s'attendait à moitié, il ne flotte pas, mais il a pied – la profondeur de l'étang ne dépasse pas la hauteur de ses mollets. Une fois près de l'arbre, il se faufile sous les branches les plus basses pour arriver jusqu'au cœur. Il aperçoit un trou noir et profond.

‒ Si tu tombes dedans, dit l'arbre, tu atterriras de l'autre coté, dans le monde des vivants.

‒ Alors j'y vais ! s'exclame Ben avant que deux branches ne le retiennent.

‒ Et combien de temps pense-tu pouvoir rester vivant, avec de l'eau plein les poumons et un trou dans la tête ? Ça ne sert à rien de foncer tête baissée. Il existe de nombreux passages comme celui-ci, mais tu dois être prêt avant de les franchir. Le sol de ce monde et le sol de celui d'où tu viens sont deux cotés d'une même pièce, tu devras arriver à voler pour atteindre la surface.

‒ Tu veux dire qu'ici... on marche au plafond ? Sous la terre ?

‒ On peut dire ça.

‒ Mais comment je peux faire pour rentrer chez moi ?

‒ Chez toi, c'est impossible. Tu es mort. Tu as réussi à échapper aux dieux qui voulaient ton âme, c'est déjà un bon début. Tu pourras revenir au monde des vivants si tu peux revenir à moi avec un corps vivant et de quoi atteindre la surface.

‒ Où je peux trouver ça ?

‒ Chez Jassak, le dieu des rêves, de l'imaginaire, de l'envie, de l'amour et de la folie humaine, le propriétaire de la moitié de ton âme. Un dieu dangereux.

‒ Comment je vais réussir ça ?

‒ Il n'existe aucun moyen de réussir.

‒ Quoi ? Mais pourquoi tu m'as dit que...

‒ Tu peux les trouver, ça ne veut pas dire que tu réussiras à les prendre. Les trésors de Jassak sont trop bien gardés. Il faudrait une véritable guerre et des alliés puissants pour vaincre le dieu aux grelots.

‒ Et c'est impossible...

‒ Si, c'est possible.

‒ Mais putain, tu vas te décider à me dire ce que je dois faire pour retourner dans mon monde !

L'Arbre aux Réponses soupire de soulagement :

‒ Enfin, tu poses la bonne question. »


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