Sa blessure saigne et l'eau sort régulièrement de ses poumons trop comprimés. Il ne s'en rend pas compte. Il n'est plus en état de s'interroger sur l'étrange fonctionnement de son ectoplasme.
Lorsqu'il arrive enfin, il ne sait pas où il est. Les morts de Jassak sont parqués dans un immense palais de bronze construit au sommet de ce qui ressemble à une carapace de tortue. Tout autour, des nuages colorés emprisonnent le soleil et noient le paysage.
L'effet est aussi magnifique qu'une aurore boréale, pourtant ils déplaisent à Ben. Ils sont trop foisonnants, trop étouffants pour ne pas donner l'impression d'une cage cotonneuse. Leur miroitement rappelle de l'électricité statique.
Mais les nuages ne sont pas les seuls pour garder prisonnières les âmes défuntes. Ben est conduit jusqu'au hall où on lui met un collier couvert de grelots qui sonnent au moindre de ses mouvements, puis on lui attache des menottes de bronze réunies par une mince chaînette.
Une autre chaîne relie sa cheville à un petit robot qui ressemble à une poubelle sur roulette. Il ne parle pas et donne ses ordres à Ben en tirant violemment sur la chaine lorsqu'il part dans la mauvaise direction. Instinctivement Ben a une pensée de regret envers toutes les poubelles qu'il a maltraitées de son vivant. Il a l'impression qu'elles se sont toutes réunies pour se venger.
Il suit docilement son tyran dans un tintement de grelots qui commence à le rendre fou. Ce n'est qu'une fois arrivé dans l'atelier où il devra travailler qu'il comprend réellement quel horrible sort l'attend.
Jassak possède des millions d'âmes. Il en fait travailler des milliers dans cet atelier où sont forgées ses créations. Sans trêve les morts façonnent dans le métal le squelette des rêves, ils soufflent dans le verre l'essence de l'art, ils sculptent dans le marbre les canons de la beauté, ils tissent les liens amoureux, ils éparpillent les idées folles, ils broient la logique sous d'énormes pilons, ils gravent dans l'ivoire les futurs qui ne se produiront jamais.
Jassak n'a pas le droit d'influencer directement les vivants mais ses pouvoirs sont déjà énormes et ses responsabilités de plus en plus écrasantes au fur et à mesure que l'humanité se développe. Il lui reste encore beaucoup à faire – de nombreux humains sont encore libres de son influence – et sa main-d'œuvre de morts n'est que l'un des nombreux outils qu'il utilise pour satisfaire son ambition sans bornes.
Il a armé et entraîné les autres pour s'occuper du monde de l'au-delà. Même si son éternel rival Fulmur déclare la guerre, il lui faudra un temps infini pour venir à bout de cette forteresse.
Tout cela Ben le découvre vite. Il est installé à une chaîne de montage et doit mettre de minuscules rouages dans des idées aussi fragiles que du cristal. Personne ne perd du temps à lui expliquer comment faire. Le fonctionnement de l'atelier et du château lui est directement inséré dans le crâne.
A moins qu'il n'ait oublié comment il l'a appris. Ce qu'il reste de son cerveau est mis à très rude épreuve. Le travail en lui-même n'est pas si horrible, malgré le rythme infernal, mais le bruit... Sans cesse des milliards de grelots résonnent dans l'atelier.
Au début, Ben cherche à se rappeler pourquoi il est là, quelle délivrance il espère. Puis il oublie. Il est impossible de venir à bout d'une pensée dans ce vacarme. Il travaille machinalement et ne prête pas attention au comportement de plus en plus nerveux des robots. De plus en plus de morts sont armés et quittent l'atelier pour partir à la bataille.
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Au-delà
FantasyArrivé dans l'autre monde, le pauvre Ben s'aperçoit que passer dans l'autre coté n'était que le début de ses ennuis. Entre dieux, monstres et bureaucrates, parviendra-t-il à échapper à son sort ? Une histoire beaucoup plus délirante que ce que je fa...